La visite du président français M. Emmanuel Macron en Afrique. Que devons-nous retenir de cette tournée ?

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Ce mois de juillet 2022, le président de la République française M. Emmanuel Macron a effectué une tournée africaine. Cette tournée à eu lieu du 25 au 28, et l’a conduit tour à tour au Cameroun, au Benin et en Guinée Bissau. Cette tournée n’est pas la seule visite du président français en Afrique. En 2019, M. Emmanuel Macron a effectué deux visites en Côte d’Ivoire où il avait promis la construction du métro ivoirien qui devait être effectif en 2021 et la construction du marché de Bouaké qui devait être le plus grand marché de l’Afrique de l’ouest avec une valeur de 60 millions d’euros, soit plus de 39 milliards de F CFA. Il a été également au Niger en 2017 et au Tchad en 2018, pour ne citer que ces pays. En plus de ces visites officielles du président français, plusieurs diplomates et membres du gouvernement français ont également effectué des visites d’Etat en Afrique, et vice-versa. Cette tournée africaine marque donc un tournant dans les relations franco-africaines. La multiplication des visites officielles n’est pas fortuite.

Les raisons objectives d’une tournée française en Afrique

-  Constituer un front de combat contre la Russie

Dans tous ses discours, dans tous ses échanges, le président français n’a cessé de parler de la Russie, allant jusqu’à traiter les Africains d’hypocrites puisqu’ils ne prennent pas position dans la guerre que la Russie mène contre l’Ukraine. La France, de par son président, a montré au monde qu’elle a la hantise de la Russie. Une telle hantise se justifie. Dans la géopolitique mondiale, le monde a cessé d’être unipolaire pour devenir multipolaire. La Russie vaincue et humiliée hier s’est relevée. Ce qui a suscité la crainte des puissances occidentales qui se sont arrangées pour l’encercler par des puissances hostiles et provoquer sa chute. La Russie qui voyait d’un mauvais œil l’installation de régimes hostiles à ses frontières n’a pas toléré le cas de l’Ukraine, un pays dont le poids pouvait, dans les années à venir, lui être sérieusement préjudiciable. Une guerre ouverte s’en est suivie entre la Russie et l’Ukraine. Les puissances occidentales ont naturellement pris position pour l’Ukraine. Mais la Russie, une puissance militaire, a menacé de bombarder toute puissance qui entrerait en guerre du côté de l’Ukraine. Les puissances occidentales se sont donc contentées de voter des sanctions contre la Russie et d’envoyer des armes à leur allié ukrainien. Les stratèges russes ont utilisé ces sanctions contre le monde occidental en limitant le gaz et les céréales russes dont le monde est grandement dépendant. Ce qui a occasionné la crise alimentaire et la crise de gaz mondiale actuelle. La Russie est allée plus loin et a décidé de détruire le bloc occidental, et plus précisément la triade Etats-Unis-Angleterre-France. Elle s’est attaquée au plus faible, c’est-à-dire à la France, en la privant de ce qui la maintien comme puissance : il s’agit de ce qu’on appelle communément son pré carré, c’est-à-dire l’Afrique. Tout analyste sérieux sait que la France est une puissance à cause de l’Afrique. Le jour qu’elle perdrait l’Afrique, elle deviendra une puissance intermédiaire. Elle n’aura donc plus le poids pour figurer dans le G7 ou même le G20. Priver la France de l’Afrique est donc le plus grand mal qu’on puisse lui faire, et la Russie est consciente de ce fait. C’est exactement ce qu’elle a décidé de faire.

Alors que seules les armées françaises étaient présentes sur son pré carré (appelons comme cela pour faciliter la communication), désormais les forces russes du groupe Wagner sont aussi présentes. Quand la France était la seule à avoir ses armées dans son pré carré, elle faisait la pluie et le beau temps. Elle installait des présidents au pouvoir à volonté, le cas le plus patent étant celui d’Ahmadou Ahidjo imposé à la tête du Cameroun. Elle soutenait par la force les dictatures comme celles d’Ahmadou Ahidjo, Omar Bongo, Paul Biya, Idriss Deby… La liste est tellement longue. Toutes les dictatures qui ont été tristement célèbres dans son pré carré ont été installées et maintenues de force par elle. La population de son pré carré subissait juste sa toute puissance et son impérialisme. La France n’installait pas seulement et maintenait les dictatures dans son pré carré, elle assassinait tous ceux qui osaient lui tenir tête, ou tenir tête à ses tyrans, que ce soit directement ou indirectement. Les cas les plus tristes qui font encore pleurer des africains sont Um Nyobe, Ossende Afana, Ernest Ouandié, Felix Moumie, Sylvanus Olympio, Thomas Sankara... Au cas où ils n’étaient pas tués, les plus chanceux étaient renversés, comme Modibo Keita du Mali. La France a créé dans son pré carré un véritable état de choc psychologique par l’installation des dictatures et la répression brutale des mouvements nationalistes. Ce qui a créé une haine de la France tout simplement au niveau des populations privées du droit de s’exprimer. La France faisait et défaisait les régimes à volonté sur le continent. Pour la combattre, la Russie a donc aussi installé sur le continent ses armées, et plus précisément le groupe Wagner. Les armées russes ont chassé la France de la République centrafricaine et aussi le départ de ses troupes du Mali est aussi en quelque sorte lié à l’armée russe. La France sait donc que la Russie a engagé son éviction d’Afrique, et les deux cas déjà mentionnés ne sont que le début de l’offensive russe sur le continent. Macron est donc venu en Afrique pour rechercher la fidélité des africains, et les pousser à refuser l’avancée russe dans leurs pays. La France sillonne pratiquement tous les pays africains pour cette fidélité. Partout elle fait des promesses fallacieuses, le grand marché de Bouaké, l’ouverture des musées, des universités, l’ouverture totale de ses archives, le soutien économique… La France est acculée, et elle veut un groupe de fidèles pour mener sa contre-offensive contre la Russie en Afrique. Mais elle n’a pas de ressources pour cela. Les présidents africains sont aussi conscients de ce fait. C’est pourquoi le tyran Biya du Cameroun peut montrer ouvertement peu d’intérêt qu’il accorde à la guerre ukrainienne. Les dictatures que la France a installé en Afrique, conscients de cette situation, se font désirer et font parfois chanter la France.

La France veut que l’Afrique se prononce ouvertement contre la Russie et affirme que cette dernière mène une guerre coloniale contre l’Ukraine. Le président français a plusieurs fois insisté sur ce terme de guerre coloniale. Il joue sur les sentiments en soulignant le cas des dizaines de français tués au Mali ou au nord du Benin pour protéger les africains. Ce que le président Macron oublie c’est que les africains ont encore en mémoire des millions de noirs tués pour libérer l’Europe du nazisme, des centaines de milliers d’africains tués pour avoir osé demander leur indépendance à cette même France, des dizaines de millions de noirs égorgés pendant les razzias négrières. Quelques dizaines de français tués est donc insignifiant. La Russie de son côté n’a pas colonisé l’Afrique, elle n’a pas réduit les africains en esclavage. Au contraire elle les a soutenus dans leur libération. Elle a soutenu leurs leaders : Nkrumah, Patrice Lumumba, Um Nyobe… Que la France le veuille ou pas, les africains ont de la sympathie pour la Russie. Et dans cette guerre ils ne serviront plus de chair à canon comme par le passé. La France contrôle encore la quasi-totalité des pays de son pré carré, mais l’éveil des consciences est tel que nous ne voulons plus servir de chair à canon dans les guerres qui ne nous concernent pas.

Le président Macron s’est sans cesse comparé aux russes et chinois. Dans le village Noah alors qu’il rencontrait la soi-disant société civile camerounaise, il a précisé aux jeunes que les russes et chinois ne débattent pas avec les partenaires comme il le fait, qu’elles ne s’entretiennent pas avec la société civile comme il le fait. Il n’a pas manqué d’affirmer que « Ce n’est pas avec le président Poutine que vous ferez ce genre de débats. » Partout où il a eu à échanger, il a rappelé que la présence russe en Afrique est hybride. Premièrement à travers la propagande médiatique, avec des femmes et hommes qui expliquent et diffusent de fausses informations. Deuxièmement cette présence est diplomatique par des milices Wagner qui viennent en soutien aux régimes affaiblis. Ce que le président Macron a oublié de mentionner est que la présence de la France n’est pas seulement hybride : La France assassine des nationalistes, installe des régimes tyranniques, s’approprie les richesses du continent, impose sa culture, détruit la culture locale, impose une monnaie, tripatouille le jeu électoral, sacrifie des générations d’africains à la misère grâce à l’incompétence des régimes qu’elle installe, mène la propagande médiatique, intimide et brutalise. Ce que la France sait et fait semblant de ne pas savoir est qu’elle est une sangsue pour l’Afrique. Elle s’agrippe sur le continent et le vide de toutes ses richesses.

Que ce soit clair entre la France et nous. La guerre en Ukraine ne nous concerne pas. Que l’Europe mène sa guerre. Nous avons nos propres problèmes, et notre principal problème est l’impérialisme français sur nous. Voilà notre problème principal. Si la France veut nous aider, qu’elle nous aide à combattre son impérialisme sur nous. Autrement dit, qu’elle nous laisse, dans la joie, la douleur, et peut-être les larmes et le sang, reprendre en toute liberté notre destinée. Que la France nous laisse seuls choisir ce qui est bien ou mauvais pour nous.

Alors que le président Macron est en tournée au Cameroun, au Benin et en Guinée Bissau, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov visite l'Egypte, l'Ouganda et le Congo. L'Ethiopie fait également partir de ses destinations. Ce qui témoigne le poids des tensions entre Moscou et Paris et la détermination de chacun d’aller jusqu’au bout. Si cette logique continue, l’Afrique sera sans aucun doute, dans les mois ou les années à venir, le théâtre de sérieuses tensions. Et ces tensions risquent trouver leur plus grande expression au Cameroun. Le président Macron a dans son sac de voyage des franco-camerounais qu’il, j’en suis sûr, a l’intention d’imposer à la tête du pays après le départ du tyran. Ces hommes et femmes pourront mieux défendre les intérêts français et concentrer ce combat que la France mène en Afrique contre la Russie. Si tel est le cas, le poids du Cameroun en Afrique centrale, ses contradictions internes peuvent mener la Russie à financer un autre groupe armé pour le contrôle du pouvoir central. Ce sont juste des suppositions qui ne sont pas à exclure dans cette confrontation franco-russe. En plus des pays qu’elle a visités, la Russie entretient de grandes relations avec presque tous les pays africains. Elle entretient un accord militaire avec le Cameroun. En mars, le président du Sénégal, également président en exercice de l'Union africaine Macky Sall avait interpellé Vladimir Poutine pour lui demander d’ouvrir la vente de son blé au Sénégal et en Afrique. Dans certains pays africains, jusqu'à 80% du blé consommé venait de Russie et d'Ukraine. Avec les perturbations qui se produisent maintenant, la France aura plus de mal à damer le pion russe. Espérons que le projet FARM dont nous en parlerons plus tard pourra résoudre ce déficit.

Il n’est pas question pour les africains de choisir un camp dans cette confrontation franco-russe ou cette guerre Russie-Ukraine. Il est question pour nous, africains, de défendre nos intérêts, de profiter de cette confrontation dont nous sommes l’enjeu principal pour nous libérer une fois pour toute. Celui qui nous aidera est celui qui nous apprendra à nous défendre nous-mêmes et non celui qui viendra nous donner des armes ou se défendre à notre place. Notre seul allié dans cette confrontation est celui qui nous aidera nous-mêmes à fabriquer nos propres armes pour nous défendre.

-  Montrer au monde et à ses concurrents que la France contrôle encore l’Afrique

Former une coalition contre la Russie n’était pas le seul objectif de cette tournée africaine de la France. Les exactions de la France en Afrique, son lourd passé colonial et néocolonial ont exacerbé la jeunesse africaine qui s’organise pour montrer au monde son refus de la France. Chassé de la République centrafricaine et du Mali, la France fait face à la colère des populations africaines. En novembre 2021, un de ses convois en partance au Mali a été arrêté plusieurs fois par les populations du Niger et du Burkina Faso qui criaient leur ras-le-bol. Plusieurs fois, de telles scènes ont meublé les visites françaises. Les français qui visitent l’Afrique sont conscients de cette réalité. Ils sont constamment perçus comme ennemis. Dans les médias, dans les ouvrages et même dans les chansons, la haine de la France transparait clairement. D’ailleurs il y a des chaines de télévision qui se sont spécialisées à l’analyse de sa domination sur l’Afrique. Face à cette situation, la France tente de reprendre le contrôle. En venant au Cameroun où cette haine est la plus vivace, la France a voulu montrer au monde qu’elle est aimée par les africains. La mobilisation des étudiants à qui le gouvernement camerounais a donné 2000 Frs CFA pour venir le recevoir était dans ce sens : Montrer au monde un peuple camerounais qui chante et danse à sa venue, profiter pour fragiliser les forces progressistes qui critiquent sa domination sur le pays et leur faire comprendre qu’ils sont un groupe isolé. Cette stratégie a marché au début, et partout personne ne comprenait le Cameroun. On accusait les camerounais d’accueillir Macron comme un messie. Les forces progressistes ont elles aussi paniqué. Mais très tôt, la supercherie a été connue, et c’est la France et le régime néocolonial de Paul Biya qui ont été ridiculisés. Payer des étudiants pour qu’ils viennent applaudir un président étranger pour montrer au monde qu’il est populaire.

En politique, et tout politicien le sait, tout se joue au niveau le peuple. Le peuple est tout. Celui qui a le peuple a le pouvoir. La France par cet accueil camerounais a fait comprendre à ses concurrents qui veulent le supplanter en Afrique (La Russie n’est pas seule) qu’elle a le peuple africain avec elle, malgré le fort sentiment anti-français ressenti. La suite de la visite a été plus triste, sans véritable mobilisation. D’ailleurs, les étudiants qui sont venus danser et chanter pour accueillir le président français sont les mêmes qui étaient venus manifester devant l’ambassade de France quand le président Macron, répondant à l’activiste camerounais Calibri Calibro, avait affirmer qu’il a demandé au président Biya de libérer l’opposant politique camerounais Maurice Kamto, enfermé pour l’organisation des marches pacifiques de 2018-2020 au Cameroun. Le gouvernement camerounais avait considéré cela comme un manque de respect et avait payé les mêmes étudiants pour qu’ils viennent manifester contre la France. On ne peut donc pas juger la popularité d’un homme aux étudiants payés pour venir l’applaudir.

-  Défendre les intérêts économiques de la France

Une autre raison de la visite du président Macron en Afrique est la défense des intérêts économiques de son pays. Il n’y a pas d’amitié entre les nations, il n’y a que les intérêts, dit-on souvent. Pour contrecarrer la hausse des prix et la famine qui s’annonce dans le monde et plus précisément en Afrique, et dans le but de rendre caduque l’arme alimentaire utilisée par la Russie dans le cas de sa guerre contre l’Ukraine et les puissances occidentales, l’Union Européenne, le G7 et l’Union Africaine ont mis sur pied le projet FARM (Food on Agriculture Résilience Mission) ayant pour but de produire les denrées alimentaires dans les zones qui en ont le plus besoin, afin de régler la crise alimentaire en Afrique. La présidence française explique que la visite d’Emmanuel Macron a pour thème : « la crise alimentaire provoquée par la guerre en Ukraine, les enjeux de production agricole et les questions sécuritaires ». Donc le volet alimentaire est d’une importance capitale dans cette visite. La France compte donc soutenir des projets agricoles au Cameroun, pour mieux contrer l’avancée russe. Elle veut prendre les devants pour ne pas se laisser doubler par d’autres partenaires du Cameroun dans cette filière. Le Cameroun est considéré comme le grenier de l’Afrique centrale. Sa production agricole alimente tous les pays de l’Afrique centrale. De par sa géographie, le Cameroun peut facilement desservir tous les pays de sa sous-région. En prenant les devants de ce projet au Cameroun, la France compte mieux le contrôler, et peut-être utiliser l’arme alimentaire contre la République centrafricaine qui est assistée par des militaires russes. Elle sera aussi tentée de menacer d’avantage le Congo-Brazzaville qui vient de recevoir le ministre des affaires étrangères russe, et dont le président a d’ailleurs été très ému par la visite russe.

Dans le domaine de la coopération bilatérale, la visite vise à rehausser l’influence de la France dans le domaine économique. Avec l’émergence de nouvelles puissances économiques  et la multi latérisation du monde, plusieurs autres pays se sont lancés dans la course pour l’influence de l’économie africaine. Les parts de la France n’ont cessé de se réduire, quittant de 40% en 1990 au Cameroun à 10% en 2022. Des pays comme la Chine, l'Inde, l'Allemagne, le Brésil et le Nigéria ont gagné de parts importantes du marché camerounais, relayant d’avantage la France vers l’arrière. Mais par-dessus-tout, la France veut maintenir son autorité sur deux ports africains. Il s’agit du port autonome de Douala et du port de Cotonou. Avec le port de Douala où transite une grande partie des produits de la République centrafricaine, la France pourra plus facilement menacer le pays et son rival russe. La visite de Macron vise aussi à s’assurer le gaz africain, puisque la Russie a considérablement réduit son exportation, ce qui crée la crise de gaz en Europe. La France veut se préparer si la Russie maintient pour longtemps sa décision, en remplaçant le gaz russe par le gaz africain, et plus précisément camerounais.

-  Défendre les intérêts diplomatiques et stratégiques de la France

Emmanuel Macron est le président de la République française. Il a été élu par les français et c’est aux français qu’il rend compte. Il a été élu pour défendre les français. Ceux qui pensent qu’il est venu aider l’Afrique se trompent énormément. D’autres sont même allés plus loin en estimant qu’il est venu libérer le Cameroun de la dictature de Paul Biya. Un peuple se libère soi-même ou jamais. Emmanuel Macron est venu en Afrique défendre les intérêts de son pays. Pour ceux qui hésitent, en 2004 il y a eu une crise en Côte d’Ivoire qui a tourné en guerre civile entre les forces républicaines du nationaliste Laurent Gbagbo au pouvoir, qui ne défendait pas les intérêts de la France mais plutôt des ivoiriens, et les forces nouvelles de Guillaume Soro, armées et financées par la France. Cette crise s’est achevée en 2011 avec le coup d’Etat d’Alassane Ouattara, soutenu par l’armée française. La France, comme d’habitude a renversé un régime nationaliste pour installer une dictature à son contrôle. Quand Macron visite la Côte d’Ivoire en 2019, il a tenu à rendre hommage prioritairement aux soldats français tués durant cette crise. Il signifiait à ceux qui le considèrent comme sauveur, qu’il est en Afrique pour la France. Plusieurs dizaines de noirs ont été assassinés au Maroc, des milliers de camerounais périssent dans la crise anglophone, et des milliers sont tués constamment en voulant rejoindre l’Europe. Emmanuel Macron n’a même pas daigné en souligner. C’est tout à fait normal puisque ce n’est pas pour les africains qu’il a été élu, mais pour les français. Le plus tôt nous comprendrons cela, le mieux ce sera pour nous. Personne ne viendra nous libérer, personne ne viendra chasser les tyrans, personne ne viendra construire des maisons, des avions, des fusées… C’est nous seuls qui devront le faire, et nous sommes seuls dans cette lancée. Nous pouvons avoir en chemin quelques soutiens des pays amis, comme nous pouvons ne rien avoir. Nous partons de la base vraie, selon laquelle nous sommes seuls.

M. Macron est donc venu exclusivement pour la défense des intérêts de la France. Que des étudiants soient payés pour le recevoir comme au Cameroun, que les chefs traditionnels sortent le recevoir comme en Côte d’Ivoire et au Benin, qu’on détruise les maisons des citoyens pour embellir la ville pour lui comme au Cameroun, ne changera rien à ce pourquoi il est venu : défendre les intérêts de son pays.

La France est consciente que le Cameroun est chancelant. Il peut s’effondrer à tout moment et entrainer dans sa descente aux enfers d’autres pays de l’Afrique centrale contrôlée par la France. Le Cameroun pourrait entrainer la France elle-même. C’est pourquoi la question de la transition au Cameroun préoccupe fondamentalement la présidence de la France. Si le Cameroun doit basculer, il doit entrainer beaucoup de pays d’Afrique centrale avec lui. La France est consciente. Elle a mené une dure, longue et meurtrière guerre au Cameron pendant plus de 15 ans pour maintenir son autorité sur le pays. Elle a usé de toutes les méthodes les plus cruelles, les plus inhumaines pour garder le contrôle du pays. Elle a utilisé les armes interdites d’utilisation dans les guerres pour écraser l’ALNK (Armée de Libération Nationale du Kamerun), branche militaire de l’UPC (Union des Populations du Cameroun). La France est consciente de l’importance du Cameroun. En conservant la mainmise sur le Cameroun, elle pense pouvoir être de taille à limiter la progression russe à partir du Cameroun. Du Cameroun, la France tentera donc une reconquête des territoires qui lui échappent. Mais la population camerounaise n’a pas encore dit son dernier mot, et le régime néocolonial a aussi ses propres cartes pour cette transition, sans oublier l’opposition.

Le choix de la Guinée Bissau peut être lié à la forte francophilie de son président et au fait que le pays dirige la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). La France pourra s’en appuyer pour mieux menacer le Mali qui s’est révolté de sa suprématie et qui exprime de plus en plus son indépendance vis-à-vis de la France néocoloniale. Elle avait tenté de mobiliser la CEDEAO dans sa guerre contre le Mali et l’avait poussé à voter des sanctions contre le Mali et à le mettre sous-embargo. Mais le peuple africain s’en est offusqué. Le peuple malien s’est levé pour contester ces sanctions et a clairement demandé à la France de ne plus instrumentaliser la CEDEAO. Les pays qui de plus en plus manifestent plus de liberté vis-à-vis de la France comme le Niger ont décidé de ne pas respecter l’embargo de la CEDEAO contre le Mali. Les sanctions se sont retournées contre les pays de la CEDEAO eux-mêmes. C’est dans le désespoir que la CEDEAO a récemment levé toutes les sanctions contre le Mali. Mais pour la France, sa guerre contre le Mali n’a pas pris fin. Elle ne tolère pas, et n’a jamais toléré une manifestation de la liberté dans son pré carré. En visitant la Guinée Bissau, la France compte sur le fait que le président bissau-guinéen Umaro Sissoco Embaló dirige la CEDEAO pour pouvoir obtenir plus de sanctions contre le Mali. La visite de la Guinée Bissau cache alors l’organisation de l’offensive française contre le Mali.

Le choix du Benin est purement militaire. Pour contrer la présence militaire russe sur le continent, la France compte installer d’avantage ses armées pour intimider et si possible agir. Mais partout, sa présence militaire est contestée, et les pays ne veulent plus une forte présence militaire française. La France a donc besoin des alliés qui doivent accepter l’installation de ses forces armées. Or le nord du Benin est menacé, et le Benin a fait une demande d’achat d’armes à la France. Cette visite et les promesses faites au Benin ont pour but d’amener ce dernier à accepter l’installation des armées françaises sur son territoire. Ces armées, si officiellement elles serviront à combattre les terroristes, officieusement sont des armées de reconquête du territoire et de persuasion face à l’avancée russe. La France est prête à tout donner pour installer ses armées en Afrique. Le président Macron l’a lui-même affirmé : « La France restera résolument engagée pour la sécurité du continent ». Elle n’a pas l’intention de retirer ses armées du continent. Emmanuel Macron poursuit d’ailleurs : « Nous opérons une ré articulation de notre dispositif en nous retirant du Mali parce que le cadre politique n’est plus là…, pour élargir notre dispositif, au-delà du Sahel, au Golfe de Guinée et les pays de la deuxième ceinture qui ont à faire face maintenant à des groupes terroristes qui sont en train de s’étendre et de bousculer toute la région ». Le choix du Benin se situe donc dans cette option de redéploiement des armées françaises sur le continent. Le Benin n’est pas la seule zone de redéploiement des armées françaises. La France vise aussi le Tchad et le Cameroun. Mais Emmanuel Macron est conscient que le tyran d’Etoudi ne peut tolérer une présence militaire étrangère sur le territoire camerounais, pas parce qu’il aime le Cameroun, mais parce que tout ce qui lui importe c’est son pouvoir. Quand il s’agit de son pouvoir, il est prêt à tout. Le dictateur Biya a vu les présidents installés par la France et chassés par cette même France, le cas de son prédécesseur étant très expressif. Il a vu l’armée française de la Licorne se mobiliser en Côte d’Ivoire pour combattre et renverser le président Gbagbo. Il ne peut, en aucun cas, tolérer une présence militaire française au Cameroun, et la France le sait. Dans le bassin du lac Tchad, celui qui pourra donc accepter est le fils d’Idriss Deby, qui a renversé son père grâce à l’appui français. Toujours est-il, la France compte installer ses armées dans un pays du lac Tchad, comme le témoigne cette déclaration d’Emmanuel Macron : « Nous resterons mobilisés aux côtés des pays du bassin du lac Tchad pour les aider à lutter contre les terroristes qui endeuillent depuis tant d’années l’extrême-nord du Cameroun ».

La démocratie importe très peu pour la France. D’ailleurs, deux des pays que Macron a visité sont dirigés par des régimes dictatoriaux. Ces régimes ont modifié la constitution pour briguer de nouveaux mandats, tous ont dans leurs prisons des prisonniers politiques dont le seul crime a été d’exprimer leurs positions politiques. Il s’agit bien sûr de Paul Biya du Cameroun et de Patrice Talon du Benin. La France ne veut pas savoir la nature des régimes qu’elle visite, que le régime soit dictatorial ou tyrannique, ce qui importe à la France c’est de se rassurer que ce pays défend les intérêts français. D’ailleurs, la France a elle-même installé des régimes dictatoriaux au pouvoir. En Côte d’Ivoire, c’est elle qui impose Alassane Ouattara au pouvoir. Ce dernier a aussi modifié la constitution pour briguer un autre mandat que la constitution n’autorisait pas. Cela n’a pas aussi empêché à Emmanuel Macron de visiter la Côte d’Ivoire deux fois en 2019. Ceux qui croient que Macron vient en Afrique pour installer la démocratie doivent donc se réveiller. Cette démocratie, c’est nous-mêmes qui l’imposerons, dans la douleur peut-être.

Les attentes africaines à la tournée du président Macron

-  Pour les dictateurs au pouvoir

Au Cameroun, le président Paul Biya est particulièrement contesté par la population. Seule l’armée le protège. Son incompétence notoire, la corruption, le fort taux de chômage, les brimades policières, la répression de l’opposition, une guerre civile créée de toute pièce par son arrogance ont renforcé la haine du peuple. Paul Biya plus que par le passé s’est renfermé sur lui-même, laissant son entourage se livrer à toutes sortes d’exactions. Le président Talon de son côté a brimé l’opposition de son pays, contraint plusieurs opposants à l’exil, et enfermé plusieurs. Son image aussi au pays et à l'international a été ternie. Les deux tyrans voyaient en l’arrivée du président Macron une occasion de redorer leur blason. En payant des étudiants, Paul Biya voulait faire comprendre à ses concitoyens qu’il est populaire, et à son hôte qu’il est aimé au Cameroun. En mobilisant les chefs traditionnels, le président Talon visait le même objectif.

Cette situation revient à l’origine du pouvoir. En Afrique, et on ne le dira jamais assez, il y a deux origines du pouvoir, auxquelles sont en train de se joindre une troisième. Quand ce sont les puissances impérialistes qui donnent le pouvoir en imposant le président, ce dernier est sous leurs ordres. Tout ce qu’il fait c’est pour les contenter. Puisqu’ils savent que leur pouvoir vient de l’étranger, les présidents imposés prennent les ressources du pays et les envoient à l’étranger, à ceux qui les ont imposés. Ils font du pays un vassal des puissances étrangères. Le peuple n’a pas de l’importance. C’est pourquoi à la simple contestation du peuple, les régimes imposés déploient l’armée, ouvrent des prisons, fouettent, torturent, assassinent. Ces présidents imposés voient le peuple comme leurs ennemis. Presque tous les pays sous influence françaises sont de cette catégorie. La France ne tolère pas un pouvoir qui ne vient pas d’elle. C’est pourquoi tous les pays influencés par elle sont des dictatures. L’Afrique francophone, tout le monde le sait, est une zone de dictatures militaires. Ceci est lié à l’influence française. Ces dictatures ayant pour seuls buts de brimer le peuple pour contenter leur maitre français ne peuvent pas impulser le développement. C’est pourquoi les pays influencés par la France sont les plus arriérés en termes de développement. La France n’a pas besoin des présidents qui pensent, mais des présidents qui exécutent, qui briment le peuple pour lui garantir les matières premiers du pays. Ces régimes sont protégés militairement par la France. D’ailleurs, dans les accords militaires entre les pays de son pré carré et la France, il est écrit au Cameroun par exemple que si le président de la République n’est pas en mesure de faire appel à l’armée française pour combattre une crise au pays, l’ambassadeur de France peut le faire à sa place. Presque toutes les dictatures africaines ont survécu par le soutien militaire français. Au Gabon, Léon Mba a été renversé en 1964. Il s’enfuit dans son village. Mais l’armée française se déploie et vient le réimposer au pouvoir la même année. Le tyran camerounais Ahidjo ne survivait que par le soutien militaire de la France. La France, il faut le dire, a imposé à la tête des pays de son pré carré des tyrans ayant pour but de blâmer le peuple et lui livrer les richesses des pays.

La deuxième source de pouvoir est le peuple. Quand le pouvoir vient du peuple, le président sert prioritairement ce peuple d’où est venu son pouvoir. Et quand il sert le peuple, il est combattu par les puissances impérialistes qui généralement l’amènent par la force à s’aligner, au cas contraire il est renversé ou assassiné. La France une fois de plus excelle dans ce cas, dans l’assassinat et le renversement des nationalistes africains : Modibo Keita, Tombalbaye, Mamadou Tandja, Thomas Sankara, Félix Moumié, Ernest Ouandié, Um Nyobe… La France a horreur de tout ce qui est nationaliste en Afrique. Une troisième source qui arrive est la Russie. Nous verrons avec le temps sa caractéristique. Mais déjà, avec l’histoire, la Russie n’impose pas le pouvoir. Elle soutient des mouvements et une fois que le mouvement prend le pouvoir, elle se retire, laissant le pays organiser seul tous les aspects de sa vie. C’est ce qu’elle a fait dans tous les pays qu’elle a soutenu. Et c’est ce que les progressistes du monde lui reprochent souvent, d’aider les pays à se libérer et de les laisser orphelins après.

Nous soulignons ce fait pour montrer que le pouvoir du président Biya vient de la France et il le sait. En détruisant les maisons de ses concitoyens, en embellissant la ville, en payant les étudiants, le dictateur de Yaoundé a voulu faire plaisir à son maitre. Il ne pouvait qu’exprimer son sentiment de satisfaction pour le soutien multiforme aux  plans sécuritaire, agricole, de formation et de développement local. Le cas du président Talon est un cas à part. Son pouvoir lui est venu du peuple. Son prédécesseur a mis sur pied des institutions qui lui ont permis de prendre le pouvoir. Une fois le pouvoir pris au sortir d’un processus électoral, il se détourne du peuple qui lui a donné le pouvoir. Il ne fait non plus allégeance totale à la France. Pour lui, cette visite de Macron devait permettre à la France d’investir dans son pays. Il a agi comme un véritable mendiant, demandant tout à la France sans jamais penser en donner. C’est cette logique de mendiant qui tue l’Afrique. On se considère comme de très pauvres et on attend les puissances nanties pour venir nous aider, construire chez nous, faire tout. Et ceux qui nous donnent quelques miettes nous imposent leur domination. Deux éminentes personnalités africaines (Thabo Mbeki à travers son plan millénium et Abdoulaye Wade à travers son plan Omega) ont pensé deux plans de développement de l’Afrique, fusionnés par l’Union Africaine pour donner le NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique). Ce plan pense le développement de l’Afrique en comptant sur les partenaires, sur l’aide des puissances étrangères, au point où, quand le projet a échoué, la raison principale donnée par Abdoulaye Wade est que les partenaires ne réagissent pas. Comment une cinquantaine de pays peuvent-ils penser leur développement en comptant sur les autres ? Cette logique est la même au niveau de la population. On crée des ONG (Organisations Non Gouvernementales) et on attend des fonds de l’étranger. Même les entreprises, on attend le financement étranger. Cette mentalité coloniale nous limite et nous tue. Nous avons les moyens de nous développer en nous passant du soutien de l’autre. C’est ce qu’on appelle la dignité. Le président Talon est dans la première logique. Il est dans l’attente d’un étranger qui va tout faire. Il a fait tellement de demandes à la France. Il a commencé par lister ce que la France a déjà fait pour le Benin, mais pas un seul élément de ce que le Benin a fait pour la France. Pire, il affirme que les relations franco-béninoises sont débarrassées des pesanteurs du passé et sont désintéressées. Bref, le Benin attend de la France un soutien dans le domaine éducatif, un appui dans la lutte contre le terrorisme, un appui militaire en termes d’équipement et d’armement...

-  Pour les progressistes et révolutionnaires

Les révolutionnaires et progressistes africains n’attendaient pratiquement rien de cette visite. Ceux du Cameroun voulaient profiter de la visite pour rappeler à la France son rôle dans la situation du pays et la mettre en garde contre le rôle qu’elle tenterait de jouer dans la transition politique qui s’annonce au pays. C’est pourquoi 3 partis politiques camerounais : LIMARA (Ligue des Masses pour la Renaissance Africaine), le PSP/UPC (Parti de la Solidarité du Peuple) et le PAP (Popular Action Parti), un syndicat : le SECA (Syndicat des Enseignants du Cameroun pour l’Afrique), une association de restitution de mémoire : le collectif Mémoire 60, et une personnalité publique : Maitre Guy Zogo, ont rédigé une déclaration commune. Cette déclaration demandait à la France de reconnaitre son rôle dans la guerre d’indépendance du Cameroun, l’assassinat des centaines de milliers de camerounais durant cette guerre, l’installation de deux régimes répressifs au Cameroun. La déclaration mettait aussi en garde la France sur le jeu qu’elle tenterait de jouer pour imposer au pays un troisième président comme elle l’a fait avec les deux premiers. Voici globalement l’attente des révolutionnaires et progressistes. Emmanuel Macron a fait des avancées dans ce sens. Il a annoncé l’ouverture totale des archives de cette triste période, la constitution d’une équipe de chercheurs français et camerounais pour rédiger l’histoire de cette période et si la responsabilité française est établie, il l’accepterait. Le président français Macron prend ces décisions suite aux pressions qui se multiplient pour obliger la France à reconnaitre son rôle dans cette répression sauvage qui a conduit au génocide d’une partie du peuple camerounais. Mais le président Macron met un piège dans cette procédure, et les révolutionnaires ne seront pas dupes. Les progressistes et révolutionnaires béninois de leur côté ont affirmé qu’ils n’auraient pas souhaité cette visite française sur le sol béninois. La question du Franc CFA qu’elle a imposé aux territoires de son pré carré reste pendante. Au-delà des mots, les progressistes et révolutionnaires demandent à la France de mettre un terme à cette monnaie coloniale.

Les révolutionnaires et progressistes du terroir profitent pour interpeller les forces progressistes et révolutionnaires de leur diaspora. Nous admirons le combat de la diaspora, les pressions sans cesse organisées contre la France pour qu’elle relâche son étreinte sur le continent, pour qu’elle arrête de soutenir les dictatures en Afrique. La diaspora a déjà eu des résultats très visibles. Mais l’étranger n’est pas le terroir. L’étranger, au plus fort de sa capacité, ne peut que concentrer au maximum 20% de la lutte. L’essentiel de la lutte se passe sur le continent. Tout combattant dans la diaspora qui excelle dans la lutte politique se rend rapidement compte de la nécessité de retourner au terroir porter la lutte. Si le panafricanisme porte jusqu’aujourd’hui, c’est parce que Kwame Nkrumah l’a porté sur le sol africain. Nous demandons à la diaspora de soutenir les mouvements de lutte progressistes et révolutionnaires sur le continent, afin de mieux préparer la bataille sur place. Si le Mali a fait des avancées considérables dans le domaine de la lutte, c’est parce que Assimi Goita affronte la France coloniale sur le sol africain. Le plus grand combat se déroule en terre africaine. Il faut une plus grande collaboration entre les forces progressistes du terroir et celles de la diaspora pour coordonner les actions. Dans cet élan, la diaspora ne viendra pas en savant pour imposer aux forces du terroir des stratégies déjà pensées. Mais l’essentiel de la stratégie sera le fait du terroir qui sait plus que la diaspora les réalités du terrain. Si la diaspora bénéficie d’un semblant d’état de droit qui protège ses droits à l’étranger, sur le terroir l’état de droit est tout simplement un mythe. Les stratégies de lutte du terroir tiennent compte de cette sinistre réalité.

Tentative future de dénaturer l’histoire du pays

Lors de sa visite au Cameroun, le président français a affirmé vouloir rédiger l’histoire de la période la plus sombre, mais aussi la plus héroïque de l’Histoire du Cameroun. Il a promis la constitution d’une commission faite d’historiens camerounais et français. Cette idée est très bonne en soi. Seulement il y a un risque de dénaturer l’histoire du pays. La France a déjà des historiens qui lui font allégeance comme Achille Mbembe. Si cette commission doit être dirigée par M. Mbembe, alors nous comprenons que l’Histoire rédigée sera la version du lion, et non celle de la proie. En plus, il y a, ayons le courage de le dire, plusieurs, pour ne pas dire presque tous les universitaires tentent de plaire à la France et à l’occident pour pouvoir gagner quelques prix et des voyages à l’étranger. Même le prix Nobel est souvent donné à ceux qui défendent le plus dans leurs travaux la culture ou la position occidentale. Les historiens camerounais pour la plupart suivent cette logique. Ce qui va poser le problème de la véracité des faits. Beaucoup risquent ignorer les faits pour contenter la France qui, en passant, va financer presque seule cette commission. C’est pourquoi il est nécessaire dans cette commission d’inclure des Historiens de renom, qui ont fait leurs preuves par la véracité de leurs travaux. Nous parlons de Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, qui peuvent rassurer les nationalistes et révolutionnaires de la véracité des faits qui seront rapportés. Nous, les nationalistes et révolutionnaires, faisons plus confiance à ces trois chercheurs. Ne pas les inclure serait tout simplement avouer publiquement ses intentions, qui consistent à anticiper la rédaction de l’histoire du pays pour la dénaturer et l’arranger à sa guise.

Montpelier : La stratégie de contournement par la société civile et le choix de ses interlocuteurs

Durant la guerre d’indépendance du Cameroun, la France n’a jamais voulu s’assoir autour d’une même table avec les nationalistes pour discuter. Elle a voulu les écraser du premier jusqu’au dernier. Et pour mieux les détruire, elle a choisi ses propres interlocuteurs, qui trahissaient le pays pour défendre leurs intérêts personnels. Pour elle, les nationalistes étaient son mal extrême. Le régime d’Ahmadou Ahidjo sous ses ordres est allé dans le même sens, et a combattu sans relâche les nationalistes. Même le président Biya a la même mentalité. Face à un problème, au lieu de discuter pour trouver une solution, il déploie l’armée pour intimider. Devant le président Macron, il a affirmé qu’il faut la négociation pour la guerre en Ukraine, oubliant que la guerre qu’il a créée dans les deux régions anglophones du pays a aussi urgemment besoin d’une négociation sincère. La France a toujours, face à une situation difficile au Cameroun, cherché à isoler et combattre les nationalistes, choisir les traitres et discuter avec eux au nom du pays. C’est un schéma déjà classique. C’est pourquoi elle n’a pas inclus les nationalistes dans sa démarche. Comment chercher à résoudre une crise qui a opposé les nationalistes aux forces d’occupation en continuant d’exclure ces nationalistes de toutes les procédures ? Voilà une sacrée question ! Les nationalistes au Cameroun aujourd’hui sont connus. Ils sont combattus par le régime en place aux ordres de la France. C’est la LIMARA et l’UPC-MANIDEM qui n’ont jamais eu leurs récépissés de légalisation malgré la conformité de leurs dossiers de légalisation des partis politiques. C’est le collectif mémoire 60, c’est la PSP/UPC, c’est l’Alliance Patriotique, c’est le SECA, c’est le PAP et j’en passe. Plusieurs organisations font partir de ce camp nationaliste qui se structure. Ces organisations devraient, en procédure normale, être celles qui devaient discuter avec la France concernant cette guerre, puisque c’est avec leur camp que la France s’est battue. Les isoler et choisir des interlocuteurs de convenance ne contribue guère à résoudre la crise franco-camerounaise, si bien sûr c’est de l’intention de la France.

La France est en face d’un peuple africain qui lui demande des comptes. Au lieu de répondre à cette colère, la France a adopté les voies de contournement, en choisissant une société civile docile pour diviser la population et rendre inaudible son cri de justice. La France veut appliquer sa stratégie de toujours : Diviser pour mieux régner, imposer la francophilie en Afrique. Elle veut créer un camp de francophiles pour contrer ceux qui crient le néocolonialisme français. Ceci n’est pas nouveau dans sa stratégie au Cameroun. Avant la deuxième guerre mondiale, la brutalité française allait de pair avec son incapacité à construire au pays. Malgré sa répression, ses réalisations n’étaient pas visibles au Cameroun. Les camerounais ont commencé à contester son hégémonie, en la comparant à l’Allemagne dont les œuvres étaient visibles. Un sentiment germanophile était perceptible au Cameroun, comme il y a un sentiment russophile en Afrique présentement. Pour contrer ce sentiment germanophile, la France a recruté des jeunes qui devaient sillonner le pays pour vanter les bienfaits de la France. Ces jeunes étaient réunis au sein de la JEUCAFRA (Jeunesse Camerounaise Française). C’est la même recette qu’Emmanuel Macron applique actuellement une fois de plus au Cameroun en recrutant des personnalités comme Yannick Noah, Achille Mbembe et autres ayant pour but de vanter la France. Le village Noah où Macron est allé discuter avec la société civile est une tentative de les organiser pour constituer son front au pays. Mettre la rédaction de la guerre d’indépendance du pays entre les mains de ces hommes reviendrait à la torpiller, à cacher la vérité. Qu’on ne se voile pas le visage. La société civile choisie par la France a pour rôle de faire son apologie contre quelques retombées financières liées à leur position. Cela transparaissait clairement dans les échanges que Macron a eus avec cette société civile au village Noah, après sa réception par le président de la République du Cameroun. Chacun présentait son projet à la France néocolonial tout en faisant l’apologie de cette dernière pour qu’elle puisse accepter de financer le projet. L’objectif de la France est d’utiliser de l’argent pour acheter une partie de la société civile camerounaise et la dresser contre les nationalistes qui demandent des comptes à la France.

 La France va plus loin. Lors de la guerre d’indépendance du pays, l’UPC avait porté trois revendications à la France : Réunification des deux Camerouns divisés après l’échec de l’Allemagne à la première guerre mondiale, la fixation d’une date pour l’indépendance du pays, l’amélioration des conditions de vie des populations. Ne pouvant satisfaire ces conditions, la France a suscité la création de partis politiques rivaux à l’UPC, qui portaient le même message à la France, avec moins de ténacité. Le but était d’isoler les nationalistes et leur faire passer pour des fauteurs de troubles, puisque les partis politiques créés par la France et portant les mêmes messages négocient avec la France sur ces questions et acceptent les propositions de la France, qui consistent à gagner le temps et mieux détruire les nationalistes. Le peuple se rendra compte de la supercherie très tardivement, quand celui qui les défendait ne sera plus là. Emmanuel Macron utilise la même stratégie. Alors que les nationalistes africains et camerounais lui demandent de mettre fin au CFA, de reconnaitre la guerre d’indépendance du pays et ses génocides et de les réparer, de quitter l’Afrique et laisser le peuple africain libre, il tente une fois de plus la même stratégie. Il fait porter le message des nationalistes par des gens qui n’y croient pas afin de le dénaturer, l’amoindrir et le rendre ridicule. Il se dit que l’étudiante de Montpelier qui avait attaqué vigoureusement Macron était une comédienne qui avait fait des entrainements pour attaquer aussi vigoureusement le président français. Elle ne jouait donc qu’un rôle. Si cette rumeur est fondée, on comprend parfaitement le but de Montpelier, le fait qu’Emmanuel Macron insiste pour travailler avec la société civile africaine. Son but est de faire porter le message des nationalistes par des hommes qu’il a choisi, et d’ouvrir des négociations avec ces hommes. Autrement dit, c’est un véritable monologue, avec toujours pour toile de fonds l’exclusion des nationalistes qui lui demandent des comptes. Le terme nationaliste en Afrique donne les frissons à tous les présidents français, et aucun n’a l’intention d’ouvrir un dialogue avec eux. Tous veulent les isoler et les assassiner. Et si nous sommes toujours en vie malgré les combats qu’on mène contre nous, c’est parce que la France est consciente qu’un assassinat politique de plus finira de ternir tout ce qui lui reste d’image. Elle est en quelque sorte obligée de nous supporter. La France par le contrôle d’une partie de la société civile veut donner l’impression que les africains s’expriment librement dans ses sommets. Par-delà, la France fait son marketing politique. Elle recrute ses futurs collaborateurs qu’elle tentera sans aucun doute d’imposer à la tête du pays. Parmi ces collaborateurs se trouvent les dirigeants de la société civile, les intellectuels, les sportifs, les spécialistes de santé et les artistes. C’est un véritable camp qui se met en place. Macron lui-même au village Noah a affirmé qu’il s’agit de réinventer positivement la période qu’on a considéré comme sombre, nourrir le nouvel imaginaire du peuple africain. Il s’agit d’un projet incluant le contrôle de la pensée par un nouvel imaginaire. C’est un projet monstrueux qui vise prioritairement à réduire au silence les velléités nationalistes.

La réception ultérieure des dirigeants de l’Union des Populations du Cameroun par l’ambassadeur de France

Sans prétendre ici entrer dans les débats de légitimité, je trouve nécessaire à la jeunesse africaine de connaitre l’histoire de la lutte, et plus précisément la lutte nationaliste camerounaise. A la mort d’Ernest Ouandie en 1971, Woungly Massaga le plus haut gradé du parti encore vivant, prend la tête du parti. Mais l’état des forces armées est tel que la continuité de la lutte armée n’est pas évidente. A la mort de Ouandié, l’épuisement des forces armées était presque total. Les soldats de l’ALNK s’étaient battus sans relâche pendant 15 ans contre la France d’abord, et contre une coalition de forces françaises et gouvernementales ensuite. Encerclées par l’ennemi qui rend impossible tout approvisionnement, les forces armées à la mort de Ouandié sont sérieusement épuisées. Woungly Massaga ne peut donc pas continuer la lutte armée. Il bascule le parti vers la clandestinité, en tentant sa survie. Continuellement traqué par le régime d’Ahidjo, puis celui de Paul Biya, le parti survie en clandestinité. Woungly Massaga parvient à former des cadres et à maintenir le parti vivant. Dans les années 1990, les militants du parti sont les plus déterminés dans les épreuves de force qui opposent l’opposition et la population camerounaise au régime de Paul Biya. Aux élections de 1992, la coalition qui porte le leader d’opposition Ni John Fru Ndi comme candidat est fortement influencée par l’UPC qui donne d’ailleurs son nom à cette coalition, qui s’appelle Union Pour le Changement (UPC). Quand l’ouverture démocratique est acquise en 1990, la loi stipule que les partis politiques déjà légalisés ne doivent plus déposer un dossier de légalisation. Le RDPC (Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais), le parti au pouvoir, ne dépose plus ses dossiers. L’UPC estime qu’elle a aussi été légalisée et ne dépose pas ses dossiers. Terrible erreur, elle tombe dans le piège du gouvernement. Augustin Frederick Kodock qui n’était plus membre de l’UPC va déposer un dossier de légalisation au nom de l’UPC. Le parti est légalisé. Les vrais upécistes (militants de l’UPC) engagent un combat juridique pour reprendre leur sigle. Pendant la clandestinité, Woungly Massaga avait créé le MANIDEM pour mener la lutte. Tandis que les vrais upécistes mènent le combat pour leur sigle, un des leurs, Anicet Ekane va également légaliser le MANIDEM comme parti politique. Les vrais upécistes décident donc de porter le sigle UPC-MANIDEM. Jusqu’ici le régime refuse de les reconnaitre. L’UPC légal a fait allégeance au régime dictatorial et s’est détournée de la cause du peuple. Elle ne peut donc pas représenter le camp nationaliste puisqu’elle est née dans la trahison de ce camp nationaliste. Cette UPC est communément appelée UPC gouvernementale, puisqu’elle est à la solde du gouvernement néocolonial de Yaoundé. Ses leaders se déchirent pour les prébendes que leur lance le régime néocolonial de Paul Biya. La France a accepté de recevoir les représentants de cette UPC par le biais de son ambassadeur. Nous disons que cette UPC ne fait plus partir du camp des nationalistes. Elle n’a même d’ailleurs jamais fait partir de ce camp. Si la France veut discuter avec des nationalistes camerounais, elle sait avec qui discuter. Elle est consciente que les nationalistes lui poseront des préalables à toute discussion. C’est pourquoi elle évite absolument de discuter avec eux. Elle est prête à discuter avec tout le monde, sauf les nationalistes. Elle est dans la logique de la continuité de la guerre. Elle n’a jamais toléré la défaite que les nationalistes camerounais lui ont affligée pendant 15 longues et dures années de guerre. Mais elle n’a pas le choix. Elle doit faire avec les nationalistes qui, en passant, sont toujours prêts à se battre. D’ailleurs, une guerre s’achève quand les deux parties en lutte décident de s’assoir autour d’une table pour discuter, ce qui n’a jamais été fait dans le cadre du conflit qui a opposé la France coloniale au peuple camerounais. La France ne peut jamais tuer le camp nationaliste, qu’elle se détrompe. Nous sommes le roseau, nous plions mais nous ne rompons pas. Nous sommes le phœnix, nous renaissons toujours de nos cendres.

L’anachronisme de développement du Président Talon

Beaucoup d’hommes politiques africains n’ont pas encore compris ce qu’on entend par développement. Développement pour eux c’est créer des infrastructures. C’est une sottise du développement. Le véritable développement est industriel. C’est pourquoi les grandes puissances du monde sont aussi appelées les puissances industrielles. Sans industries, pas de développent. Ce sont les industries qui absorbent le chômage, qui apportent des revenus au pays, qui accroissent l’influence du pays à l’étranger de par les produits à vendre. Il faut seulement entendre ce que le président Talon demande à son homologue M. Macron pour comprendre l’anachronisme de développement. Un tel homme ne peut porter son pays qu’à la soumission. Dans le domaine artistique, il demande à la France près de 2 milliards d’euro pour créer un quartier créatif culturel. Les pays sérieux ricanent quand ils entendent cela. Il ne demande pas cette somme pour créer une industrie, pour assurer l’autosuffisance alimentaire à son peuple alors que le monde entier craint la famine mondiale qui point à l’horizon. Mais il demande une telle somme pour créer un village artistique qui ne rapporte pratiquement rien au pays. Le Benin n’a pas besoin actuellement de ressembler aux grandes puissances en termes d’infrastructures, il a besoin de poser les bases industrielles de son développement économique. Et dans ce sens M. Talon fait fausse route. Il demande à la France de créer un institut français d’une nouvelle envergure, un musée d’art contemporain. Il ne demande pas de l’assister à créer un institut béninois d’une nouvelle envergure, mais demande à la France de créer au Benin un institut français d’une autre envergure. Et il menace en plus en faisant comprendre à son homologue : « Si nous attendons longtemps les énergies vont s’émousser … Les premiers venus seront les mieux servis. » Il fait comprendre à son homologue qu’il n’est pas le seul à qui cette demande est faite. La France a donc intérêt à se hâter, sinon elle ne sera pas bien servie.

Nous avons voulu dans cet article analyser la visite du président Macron en Afrique. Trouvez d’autres analyses dans notre site web www.ligueaa.org

Yemele Fometio, président du parti politique camerounais LIMARA (Ligue des Masses pour la Renaissance Africaine)