Patrice Lumumba : « Je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable »

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Patrice Emery Lumumba est né le 2 juillet 1925 à Onaloua en République Démocratique du Congo. Elève très brillant, il est admis parmi les « évolués », une minorité d’individus ayant bénéficié d’une éducation coloniale, que les colons utilisaient généralement pour asseoir leur domination sur le reste du peuple. Ces évolués servent en tant que cadres dans l’administration coloniale. Lumumba travaille comme employé de bureau dans une société minière de la province du Sud-Kivu jusqu’en 1945, puis comme journaliste à Léopoldville (aujourd'hui Kinshasa) et Stanleyville (Kisangani). Il découvre, en travaillant pour la société minière, que les matières premières de son pays jouent un rôle capital dans l’économie mondiale, mais aussi que les sociétés multinationales ne font rien pour mêler des cadres congolais à la gestion de ces richesses. En septembre 1954, il reçoit sa carte "d’immatriculé". Le détenteur de cette carte est supposé vivre à "l’européenne". Mais il n’a pas le droit d’entrer dans la ville européenne, à moins d’y travailler. Il fait ses achats au guichet des Noirs. Comme tous les congolais, il est victime des pratiques ségrégationnistes. 217 cartes seront distribuées jusqu’en 1958 sur 13 millions de congolais. En 1955, Lumumba crée une association dénommée APIC (Association du Personnel Indigène de la Colonie). En 1956, il devient le président de l'Association des Evolués de Stanleyville. C'est précisément à cette époque que le gouvernement belge prend quelques mesures de libéralisation : syndicats et partis politiques vont être autorisés en vue des élections municipales qui doivent avoir lieu en 1957. Lumumba est classé parmi les libéraux. La même année, il assiste à la conférence du Mouvement des Non-Alignés de Bandoeng en qualité d'observateur.

Le réel élément déclencheur de son nationalisme provient de sa présence à l’exposition universelle de 1958 en Belgique, où l’image affiliée aux congolais est avilissante. Enervé, Lumumba se détache des libéraux et, avec quelques compagnons politiques, noue des contacts avec les cercles anticolonialistes de Bruxelles. Dès son retour au Congo, il crée le Mouvement National Congolais (MNC) en octobre 1958, unique parti à caractère national à l'époque. Il participe la même année à la conférence d'Accra et prend contact avec les personnalités les plus influentes du continent africain comme Kwamé N'Krumah et Gamal Abdel Nasser. De retour, il organise une réunion pour rendre compte de cette conférence et y revendique l'indépendance devant plus de 10 000 personnes. Devant la popularité et la détermination du MNC, l’administration coloniale favorise la création de plusieurs partis politiques qu’elle utilise pour détruire le MNC. A ces partis, l’administration coloniale accorde toutes les faveurs. Parmi eux , on note: le Parti National du Progrès dirigé par Bolya, Dericoyard et Delvaux; le Mouvement National Congolais-K dirigé par Kalonji et Iléo; la Confédération des Associations Tribales du Katanga de Moïse Tshombé et Munongo; le Parti de l'Unité Nationale de Bolikango ; l'Association des Bakongo sous la direction de Joseph Kasavubu et Kisolokela et l'Union des Mongo de Bomboko. Mais aucun de ces partis ne parvient à avoir la popularité du MNC de Patrice Lumumba.

Les premieres démêlés politiques ont lieu en Octobre 1959 lorsque le MNC organise une réunion unitaire à Stanleyville avec d’autres partis qui sont d’accord pour réclamer l’indépendance immédiate et inconditionnelle. La foule congolaise qui assiste à la réunion manifeste son approbation. Les forces de l’ordre interviennent, essayant d’arrêter Patrice Lumumba. Ne pouvant y arriver, elles tirent dans le tas, faisant une trentaine de morts. Deux jours plus tard, Lumumba est arrêté, jugé et condamné à 6 mois de prison. Patrice Lumumba qui avait conçu le projet d’une indépendance non violente et en entente avec la Belgique comprend que la seule solution sera révolutionnaire. L’indépendance sera une rupture. La Belgique convoque une table ronde en Belgique réunissant les différents acteurs congolais impliqués dans l’indépendance et le gouvernement belge sur l’indépendance du Congo. Cette table ronde est programmée pour le 20 Janvier 1960. En fixant précipitamment la date de l’indépendance, la Belgique compte profiter du fait que les nationalistes ne sont pas encore assez préparés pour les évincer et accorder l’indépendance à des hommes sous son contrôle qui ne changeront rien à la situation du pays. Elle est convaincue de la victoire des partis pro-impérialistes grâce au soutien qu’elle, les grandes entreprises belges et l’Eglise catholique leur apporte. Lumumba se trouve encore en prison. Les délégués de MNC font pression et menacent de boycotter la table ronde si Lumumba n’est pas libéré pour y assister. Le gouvernement colonial cède et Lumumba participe à l’événement. A la table ronde, la date de l’indépendance est fixée au 30 juin 1960.

La stratégie de la Belgique pour favoriser les partis pro-impérialistes échoue puisque les élections législatives de mai 1960 sont remportées par les nationalistes, en occurrence le MNC. Patrice Lumumba devient le Premier ministre et chef du gouvernement, tandis que Joseph Kasa-Vubu est désigné Président de la République par le Sénat. La Belgique engage l'ABAKO de Joseph Kasavubu pour former le gouvernement. Aucun membre du MNC ne fait partie de ce gouvernement. L’assemblée nationale et le sénat rejettent ce gouvernement. La Belgique est obligée d’autoriser Patrice Lumumba à former le gouvernement. En même temps, elle redouble d'efforts pour briser les partis nationalistes. Le 30 Juin 1960, l’indépendance du Congo Belge est proclamée. Lumumba affiche sa détermination à libérer définitivement son pays de la domination et à amorcer un réel développement du pays. La Belgique et les autres puissances coloniales de leur côté veulent continuer d’exploiter le pays. Ils voient en cette indépendance un simple jeu où le blanc oppresseur sera remplacé par un noir docile qui ne changera rien à la situation d’avant. Mais Lumumba et ses camarades sont déterminés à donner un sens à l’indépendance qu’ils viennent de conquérir.

La Belgique adopte la politique du chaos. Il s’agit de créer un désordre social qui poussera le peuple à désavouer Lumumba. Dans cette situation de désordre, Lumumba sera obligé d’accepter leur domination et le progrès social sera arrêté. Ils arment et financent Moïse Tschombé qui proclame la sécession de la riche province du Katanga le 11 juillet 1960 et Kalonji Mulopwe qui proclame celle du Sud-Kasaï le 09 août. Lumumba et Kasa-Vubu demandent le soutien des Nations Unies qui envoient des casques bleus pour assurer la paix. Le Congo rompt les relations diplomatiques avec la Belgique. Mais sur le terrain les casques bleus ne font pas d’efforts pour mettre fin à la crise. Déçu par l’attitude de l’Organisation des Nations Unies en qui il avait placé toute sa confiance pour faire revenir de l’ordre dans le pays, Lumumba s’appuie sur la force populaire et mobilise les éléments nationalistes de l'armée. Ses troupes prennent Bakwanga, la capitale du pseudo-Etat du Sud-Kasaï le 27 août 1960. Sur d'autres fronts aussi, l'armée nationaliste avance vers le Katanga. Le gouvernement Lumumba reçoit le soutien des Etats nationalistes africains (Ghana, Egypte, Guinée Conakry) et des Etats socialistes. Le 3 septembre, L'Union Soviétique met 15 avions et 100 camions à la disposition du gouvernement pour le transport de ses troupes. Lumumba a maintenant la force suffisante pour éliminer les deux créations des colonialistes belges et étasuniens et reprendre le contrôle du pays.

Les impérialistes ne baissent pas les bras. Ils divisent l’administration et montent le président de la république Kasavubu contre le premier ministre Lumumba. En septembre 1960, Kasavubu révoque Lumumba. Lumumba saisi les deux chambres du parlement. Ces chambres révoquent le président Kasavubu. L’Assemblée soutien Lumumba par 60 voix contre 19 pour Kasavubu. Le Sénat fait de même par 41 voix pour Lumumba et 2 voix pour Kasavubu. Le 13 septembre, les deux chambres réunies votent les pleins pouvoirs au gouvernement Lumumba. Après cet échec de Kasavubu, les impérialistes tentent autre chose. Soutenu par la CIA américaine et les puissances impérialistes, le colonel Mobutu, alors chef d'Etat-Major général des Forces armées fait son coup d'Etat militaire. Lumumba est mis en résidence surveillée, mais il s’échappe et prends la tête de l’armée nationaliste acquise à sa cause et lève le peuple pour reprendre le pouvoir. Il veut regagner Kisangani pour y organiser ses troupes et renverser Mobutu. Une opération militaire à partir Kisangani a toutes les chances d'aboutir à la libération de Kinshasa. Du côté des impérialistes, c’est panique. Si Lumumba parvient à Kisangani, il ne peut plus être arrêté. Les impérialistes disposent leurs meilleurs hommes pour l’attendre. Il est arrêté et conduit à Port-Franqui le 2 décembre au matin. Il est ramené à Kinshasa, tabassé et torturé. Les nationalistes de leur côté ne baissent pas aussi les bras. A Kisangani, Gizenga déclare que le territoire est désormais le siège du gouvernement légal et la capitale provisoire de la République. Deux semaines plus tard, les lumumbistes prennent le pouvoir à Bukavu, capitale du Kivu. Le 1er janvier 1961, Pongo, l'homme qui arrêta Lumumba est fait prisonnier. Le 9 janvier, les troupes congolaises fidèles à Lumumba et dirigées par Lundula libèrent Manono. Cette montée de la lutte révolutionnaire populaire aboutirait certainement à la victoire si Lumumba, libéré, pouvait prendre la tête. Le 13 janvier, sous l'impulsion de Mulele et des militants du PSA et du MNC-L, une mutinerie éclate à Thysville pour libérer Lumumba. La CIA comprend qu'il devient urgent d'assassiner Lumumba si elle veut sauver sa domination impérialiste sur le Congo. Le 17 janvier 1961, Lumumba est transféré au Katanga où il sera exécuté le soir même avec ses principaux compagnons. Enfin la Belgique et les Etats Unis ont réussi à écarter définitivement Lumumba. Ils décident d’effacer ses traces en le brûlant dans l’acide. Les jours suivants, plusieurs de ses partisans ou pris pour tels sont exécutés un peu partout à travers le pays. Après ces assassinats, la population paysanne, sous la direction de Pierre Mulele prends des armes pour renverser le régime de Mobutu. Ils conquièrent près de 70 % du territoire national congolais avant d’être écrasés par l’armée de Mobutu soutenue par les puissances impérialistes.

La mort de Lumumba survient seulement deux mois après celle de Félix Roland Moumié qui se battait aussi pour la véritable indépendance du Cameroun. Dans le monde noir et tiers-mondiste, c’est la désolation. Ecoeuré, Frantz Fanon prends la plume et écrit : « Notre tort à nous africains est d’avoir oublié que l’ennemi ne recule jamais sincèrement. Il ne comprend jamais. Il capitule, mais ne se convertit jamais. Notre tord est d’avoir cru que l’ennemi avait perdu de sa combativité et de sa nocivité. Si Lumumba gène, Lumumba disparait. L’hésitation dans le meurtre n’a jamais caractérisé l’impérialisme. »

 

Voici quelques-unes des pensées de Patrice Lumumba

« …Ma foi restera inébranlable. Je sais et je sens au fond de moi même que tôt ou tard mon peuple se débarrassera de tous ses ennemis intérieurs et extérieurs, qu’il se lèvera comme un seul homme pour dire non au capitalisme dégradant et honteux, et pour reprendre sa dignité sous un soleil pur »

« Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce, car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays, plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés. »

« Mort, vivant ou en prison sur ordre des colonialistes, ce n’est pas ma personne qui compte. C’est le Congo, c’est notre pauvre peuple dont on a transformé l’indépendance en une cage d’où l’on nous regarde du dehors, tantôt avec cette compassion bénévole, tantôt avec joie et plaisir »

« Les ministres doivent vivre avec le peuple. Nous ne devons pas passer aux yeux de la population comme les remplaçants des colonialistes. »

« L'Afrique est irrésistiblement engagée, pour sa libération, dans une lutte sans merci contre le colonialisme et l'impérialisme. Le Congo ne peut être considéré comme une colonie ni d'exploitation ni de peuplement et son accession à l'indépendance est la condition de la paix. L'objectif du Mouvement National Congolais est d'unir et d'organiser les masses congolaises dans la lutte pour l'amélioration de leur sort, la liquidation du régime colonialiste et de l'exploitation de l'homme par l'homme. »

« L'indépendance politique étant conquise, nous voulons maintenant l'indépendance économique.»

« Ce n'est pas en mendiant des capitaux que nous allons développer le pays. Mais en travaillant nous-mêmes, par nos propres mains, par nos efforts. Le seul slogan pour le moment: le progrès économique. Les cadeaux, on n'apprécie pas. L'indépendance cadeau, ce n'est pas une bonne indépendance. L'indépendance conquise est la vraie indépendance »

« Pour nous, il n'y a pas d'indépendance tant que nous n'aurons pas une économie nationale prospère pour relever les conditions de vie de nos frères ».

« Les Occidentaux savent qu'avec ce gouvernement, ils ne peuvent pas avoir la moindre mainmise sur l'économie de notre pays. Nous devons contrôler notre économie à la Banque nationale... Dans chaque grande société il faudrait un commissaire du gouvernement doté de pleins pouvoirs politiques pour diriger.»

« Marchez, n'ayez pas peur! Nous vous demandons si nous mourons demain de garder nos enfants convenablement. Nous allons mourir pour vous et nous ne le craignons pas. »

« Les Occidentaux ont voulu que notre gouvernement soit à la solde des impérialistes. Des traités nous ont été proposés. J'ai décidé de ne point signer ces accords, parce qu'ils ne signifient rien d'autre que la domination économique du Congo par les groupes financiers de la Belgique. »

« Comme nous sommes un gouvernement nationaliste, qui ne vise que l'intérêt de la patrie, ceux qui convoitent nos richesses tentent de provoquer l'anarchie, pour finalement monter la population contre nous et faire tomber notre gouvernement. Ils se serviront alors de marionnettes qui n'hésiteront pas à signer aveuglément n'importe quel accord pour placer le Congo sous une domination étrangère.»

« Il faudra combattre pour la liberté. Les colonialistes ne veulent pas nous la donner pacifiquement, nous la conquerrons, les armes à la main. »

« Certains ont voulu utiliser l'ONU, soi-disant pour placer le Congo sous le statut international. Le Congo ne deviendra jamais une colonie de l'ONU et ne sera jamais un pays sous la tutelle de l'ONU. Et nous renonçons à toute assistance de l'ONU. Ceux qui croyaient s'introduire encore au Congo sous le couvert de l'ONU ne vont plus entrer. Les portes du Congo sont hermétiquement fermées aux exploitants et aux chercheurs de l'or »

« Malgré les frontières qui nous séparent, malgré nos différences ethniques, nous avons la même conscience, la même âme qui baigne jour et nuit dans l'angoisse, les mêmes soucis de faire de ce continent africain un continent libre, heureux, dégagé de l'inquiétude, de la peur et de toute domination colonialiste. »

« La masse est beaucoup plus révolutionnaire que nous. Quand nous sommes avec la masse, c'est la masse même qui nous pousse, elle voudrait aller beaucoup plus rapidement que nous. »

« Nous préférons mourir pour notre liberté plutôt que de vivre encore dans l'esclavage. Toutes les forces vives de ce pays sont mobilisées pour sauver l'honneur de la patrie et défendre courageusement son indépendance. »

« Je suis considéré comme un homme dangereux parce que je refuse de me laisser corrompre. Je puis vous dire que si j'avais accepté de "jouer le jeu", comme l'ont fait certains leaders congolais opportunistes, je serais aujourd'hui soutenu par la Belgique et considéré comme son plus grand ami. »

« Vous êtes tous endormis. Vous pensez que l'indépendance vous sera offerte sur un plateau d'argent, mais il faudra lutter pour l'obtenir et je suis décidé à me battre pour arracher notre indépendance. »

« Des évêques abandonnent leur mission d'évangélisation pour s'ingérer dans les affaires de l'Etat. Les Missions abandonnent leur mission pour mener une campagne d'obstruction à l'égard de l'Etat. Jour après jour, nous nous voyons insultés à travers leur presse. Ils ont porté gravement atteinte à la sûreté de l'Etat, ils ont commis des infractions graves. »

« Nous allons procéder à la décolonisation mentale parce qu'on endoctrine faussement le peuple depuis 80 ans. Avec notre cerveau, avec nos mains, nous allons développer le Congo. »

« En Afrique, tout ce qui est progressiste, tout ce qui tend au progrès est qualifié de communiste, de destructeur. Il faut toujours faire des courbettes et accepter tout ce que les colonialistes vous offrent. Nous sommes simplement des hommes honnêtes et notre seul objectif a été: libérer notre pays, construire une nation libre et indépendante. »

« L'Union soviétique est un peuple comme toute autre nation. Les questions d'idéologie ne nous intéressent pas. Notre politique de neutralisme positif nous recommande de traiter avec toute nation qui a des intentions nobles et qui ne viendrait pas chez nous dans le but d'instaurer une autre domination. »

 « En Afrique, tous ceux qui sont progressistes, tous ceux qui sont pour le peuple et contre les impérialistes, ce sont des communistes, ce sont des agents de Moscou!!! Mais tout ce qui est en faveur des impérialistes, celui qui va chercher chaque fois l'argent, le mettre en poche pour lui et sa famille, c'est un homme exemplaire, les impérialistes le loueront, le béniront. Voilà la vérité, mes amis. »