LES ENJEUX PATRIMONIAUX ET TOURISTIQUES DES RITES FUNERAIRES BAMIILEKES
Ce travail est mis à votre disposition gratuitement par le Département Panafricain de l’Education et de la Culture de la Ligue Associative Africaine. Nous sommes convaincus que la renaissance africaine tant souhaitée et la construction de la Fusion Africaine doivent reposer sur des savoirs solides.
La Ligue Associative Africaine a engagé le combat pour la construction de la Fusion Africaine. Avec nos partis politiques, syndicats et organisations dans les différents pays d’Afrique, nous faisons des progrès considérables. Pour mieux nous connaitre, lisez nos publications dans notre site web www.ligueaa.org.
Introduction
Les questions de l’au-delà, de la vie après la mort, du sort du mort sont les points fondamentaux de toutes les sociétés. C’est autour d’elles que se sont élaborées les civilisations, les manières de penser, de concevoir et d’appréhender le monde, les manières de vivre. Jean Maquet affirme que « la civilisation est un ensemble à première vue disparate mais à l’analyse largement intégré, fait d’objets matériels qui permettent au groupe d’assurer sa subsistance et sa vie quotidienne, d’institutions qui coordonnent les activités du groupe, de représentations collectives qui constituent une conception du monde, une morale, un art[1]. » Dans les représentations collectives que cite Jean Maquet se trouve la religion qui est l’élément fondamental de la civilisation. Expliquant cette pensée de Jean Maquet, Edouard Bokagne[2] fait intervenir l’arbre des civilisations. La civilisation est pour lui un arbre ayant pour fruits tous les éléments qui assurent la survie du peuple comme les meubles, les vêtements, la nutrition. Les branches et branchages sont autant de sociétés et d’industries qui produisent les biens matériels du peuple. Le tronc de l’arbre représente l’Etat qui coordonne les activités de toutes les sociétés et organisations du territoire. Les racines sont ce qu’Edouard Bokagne appelle le socle mystico-religieux. Ce sont les représentations collectives, les manières communes de voir et d’appréhender le monde, les manières communes de se comporter, les idées communes. Ce sont ces idées communes qui nourrissent tout l’arbre de la civilisation. Elles nourrissent l’Etat qui, à son tour nourrit toutes les autres organisations et structures de la société. En Afrique, la domination européenne s’est attaquée en premier à ce socle mystico-religieux. Privées de ces représentations communes qui permettent aux peuples de traverser facilement les moments difficiles sans perdre leur essence, les civilisations africaines se sont embrouillées et deviennent incapables de surmonter leurs moments difficiles. Aux difficultés se succèdent des difficultés. L’Afrique ne pourra émerger que si elle renoue avec son socle mystico-religieux qui renferme toute sa philosophie et sa manière de comprendre et d’appréhender le monde. C’est pour cette raison que plusieurs mouvements anticolonialistes en Afrique, s’opposant à la misère sociale et tentant de restituer la dignité africaine, avaient pour toile de fond la défense des cultures africaines menacées. Il s’agit par exemple de l’Association des Ulémas Musulmans Algériens[3] dont la devise était : « L’Islam est ma religion, l’Arabe est ma langue, l’Algérie est ma Patrie »[4]. Le PAIGC (Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap Vert) d’Amilcar Cabral proposait la réactualisation, le rejet et la réinterprétation de la culture africaine[5]. Autrement, il faut opérer un tri, rejeter les éléments mauvais et rebâtir une nouvelle culture à base des éléments retenus. L’ancien président algérien Houari Boumediene affirmait que : « La conservation de notre culture nous sauva des tentatives de faire de nous un peuple sans âme et sans histoire. Notre culture nous préserva…»[6] Des organisations continuent de militer pour la préservation des cultures africaines. Parmi ces mouvements, on peut citer Afrocentricité Internationale[7] qui milite pour la préservation et la restauration de la religion noire africaine authentique[8] et la Ligue Associative Africaine[9] qui, tout en restant ouverte aux autres religions, adopte des mécanismes de défense de la culture africaine. La principale faiblesse de la religion africaine que nous appelons Amonisme[10] est sa méconnaissance et son incompréhension. Cette recherche vise à faire connaitre un pan de la culture africaine, et plus précisément les rites funéraires bamilékés.
Le monde actuellement vit une période de regain culturel. Chaque peuple cherche à imposer sa culture aux autres. Malgré les multiples appels de l’Unesco à une entente mutuelle des cultures, les cultures européennes continuent leur impérialisme dans le monde. L’Eglise continue de s’opposer vigoureusement aux religions africaines qu’elle qualifie toujours de démoniaques. Devant cette offensive de la culture européenne, les cultures islamiques utilisent de plus en plus la force armée pour préserver leur culture et l’imposer aux autres peuples. Les mouvements comme Al Qaida, Boko Haram, Organisation de l’Etat Islamique ne sont que les différentes manifestations de cette guerre culturelle. Cette guerre, l’Eglise l’a aussi mené. Entre 1095 et 1270 de la chronologie chrétienne, quand l’Islam était devenu la religion forte et avait conquis une partie de l’Europe, l’Eglise a engagé des guerres contre les musulmans. Elle a appelé ces guerres les croisades. Il y a eu en tout huit croisades pour imposer le Christianisme et repousser l’avancée de l’Islam. Les fidèles sont devenus des guerriers à la solde de l’Eglise. Ces croisades étaient lancées par des papes qui se comportaient comme des généralissimes. Au moyen âge en Europe, toute pensée qui s’opposait à la pensée chrétienne était considérée comme une hérésie et ses auteurs persécutés et la plupart de temps brûlés vifs. L’Eglise avait levé une juridiction appelée les inquisitions pour persécuter tous ceux qui s’opposaient à la pensée chrétienne. Quand l’Europe soumet la Chine et l’oblige à signer les traités inégaux, le mouvement des boxers engage une révolte sanglante contre les oppresseurs entre 1899 et 1901. Cette bataille avait pour fondement la religion. En 1724, un décret impérial interdisait le Christianisme en Chine, mais le clergé chrétien continuait d’arriver et de s’opposer aux cultures chinoises et plus particulièrement au confucianisme. Les boxers réagissent militairement à la menace chrétienne contre leurs croyances. Ils détruisent les églises, assassinent les prêtres, évêques et les chinois convertis avant d’être écrasés à leur tour par les armées européennes. Cette révolte réduit considérablement l’installation de l’Eglise en Chine. Après la victoire du Parti Communiste Chinois en 1949, la République Populaire de Chine, tout en acceptant la présence des églises en Chine y exerce une grande influence. Le Vatican ne nomme pas un évêque en Chine sans le consentement de l’Etat Chinois. Le gouvernement chinois contrôle les discours tenus dans les églises et destitue les prêtres et évêques qui tiennent des discours contre les cultures chinoises. Il limite le nombre d’églises autorisées à exercer en Chine. Les cultures chinoises et indiennes actuellement ont engagé leur offensive pour s’imposer dans le monde. Contrairement au Christianisme et à l’Islam qui s’imposent au monde par la force, les cultures chinoises et indiennes utilisent la ruse pour le moment, mais tout montre qu’elles entreront elles aussi dans la phase militaire quand elles auront la possibilité et la force nécessaires pour s’imposer militairement. Comme le Christianisme et l’Islam, elles cherchent à renier les autres cultures et s’affirmer comme seule culture praticable. Toutes ces cultures refusent par exemple à ceux qui y adhèrent de porter leurs noms originels. Dans les centres linguistiques chinois du Cameroun par exemple, les apprenants dès leur entrée, reçoivent un nom chinois et c’est désormais avec cette nouvelle identité chinoise qu’ils existent dans ces institutions. Les chinois, tout comme les européens et les arabes refusent obstinément les noms africains à ceux qui adhèrent à leur philosophie de vie pour mieux réussir leur assimilation et les couper de leurs racines. Les discours pacifiques de l’Unesco sur l’entente des cultures restent vains devant cette militarisation de l’expansion culturelle. L’Afrique reste le principal champ d’expansion de toutes ces cultures. C’est le seul terrain qui reste très perméable. Les cultures africaines sont par leurs natures pacifiques, ce qui accentue leur destruction par les cultures militaires. Il y a eu des confrontations culturelles sur le territoire africain. On note les multiples batailles de l’Egypte pharaonique et ses alliés (Phénicie, Ethiopie, Troie...) contre le monde indo-européen. Ces batailles avaient pour toile de fond la culture. Après plus de 10 000 ans de victoire, l’Egypte pharaonique est tombé en 525 avant l’ère chrétienne face à la Perse de Cambyse. Cette défaite a été un coup particulièrement dur pour l’Amonisme dans son ensemble puisque l’Egypte pharaonique est le socle de la religion. Après l’Egypte, quand la Perse va tenter de pénétrer à l’intérieur de l’Afrique noire pour détruire les autres bastions de l’Amonisme, elle va être bloquée par l’Ethiopie. La reine Candace va lever son armée contre la perse. La perte d’un œil au combat va raviver sa combativité. L’Ethiopie va contenir les cultures nordiques. Une autre bataille décisive a été celle menée par Soundiata Keita contre Soumangourou Kante. Soundiata Keita était porteur de culture étrangère, plus particulièrement de l’Islam, tandis que Soumangourou Kante était le garant de l’Amonisme. La défaite de Soumangourou Kanté ouvre toute l’Afrique de l’Ouest à l’influence islamique et porte un coup particulièrement dur à l’Amonisme. Actuellement, l’Amonisme se réorganise autour de quelques mouvements se déclarant kamitologues. Les signes d’une confrontation culturelle qui peut être militaire sont visibles sur le continent, avec les organisations de défense des cultures africaines qui adoptent de plus en plus des discours radicaux. Certains leaders d’Afrocentricité International appellent à brûler les Bibles et les Corans. D’ailleurs, le mouvement compte débarrasser le continent noir des religions étrangères. Sa devise est : « L’unité est notre but, la victoire est notre destinée ».
La guerre culturelle est d’autant plus importante que la victoire militaire sans la victoire culturelle est nulle et de très courte durée. Pour asservir un peuple, il faut le couper de sa culture, de ses symboles et lui imposer les symboles culturels du dominateur. Même après la libération de ce peuple, l’influence de l’ancien dominateur restera toujours forte. Les intellectuels ne pourront pas travailler sans constamment se référer aux auteurs de l’ancien dominateur, les artistes, toute la société fait référence aux anciens dominateurs pour s’exprimer. Ce peuple libéré reste esclave des symboles de l’ancien dominateur. Il ne se reconnait plus, se perd, s’embrouille et ne peut pas amorcer un véritable progrès. Celui qui dominera le monde ne sera pas celui qui aura la plus grande force armée, mais celui qui aura réussi à imposer sa culture et ses symboles aux autres peuples. C’est cette réalité qui anime davantage la détermination des membres d’Afrocentricité International. Mais dans cette lutte culturelle, l’Afrique ne peut pas faire émerger toutes ses cultures particulières. Il faut faire émerger une culture africaine propre, avec notre manière particulière de concevoir et d’appréhender le monde. Il nous faut une méthodologie pour comprendre notre culture. Dans cette logique, le R.P. Mveng Engelbert souligne : « Il n’est plus vrai de dire que l’histoire négro-africaine manque de documents écrits, ce qui est vrai c’est que nous sommes souvent analphabètes devant son écriture. »[11] Figurer comme grande puissance dans notre monde passe d’abord par sa propre connaissance, la connaissance des savoirs acquis par ses ancêtres depuis des générations. La question de la mort qui fait l’objet de notre présente étude est le fondement de toutes les civilisations. En étudiant les rites funéraires bamilékés, nous étudions le fondement de la civilisation bamiléké. Nous pensons avec Cheikh Anta Diop que les panafricanistes doivent s’investir dans le domaine de la science, sinon l’idéologie panafricaine ressemblerait à un discours quasi-journalistique[12].
De nos jours, On ne cherche plus à comprendre pourquoi on fait tel ou tel rite, d’ailleurs ce sont des récalcitrants qui les pratiquent encore puisque l’église interdit la plupart de ces rites. Ces rites s’éloignent de plus en plus des conceptions métaphysiques qui ont conduit à leur mise en place. Beaucoup d’éléments s’altèrent sous l’influence de la culture occidentale. On parle de plus en plus de deuil chrétien, de funérailles chrétiennes, qui n’ont rien à voir avec les deuils et funérailles tels que pensés par nos ascendants. Pourtant, si ces rites sont bien conservés et bien appréhendés, ils pourraient constituer des éléments importants pour le développement du Cameroun.
Chapitre 1 : Conception de la vie et de la mort chez les bamilékés
Le peuple qui fait l’objet de cette étude habite les hautes terres de l’Ouest-Cameroun, d’où son nom de Bamiléké (Habitant ou ressortissant des montagnes). Thomas Ketchoua[13] estime qu’ils auraient quitté l’Egypte pharaonique au IXe siècle de notre ère, presque 10 siècles après que l’Egypte ait perdu son autonomie. Ceux qui deviendront les bamilékés arriveront en région Tikar vers le milieu du XIIe siècle. Vers 1360 à la mort de leur dernier souverain le roi Ndéh, ils se divisent[14]. Yendé, le premier prince, refuse le trône, traverse le fleuve Noun pour fonder Bafoussam. Sa sœur va vers la région de Banso[15]. Deux décennies plus tard, Ncharé, le cadet, descend dans la plaine du Noun pour fonder le pays Bamoun. De Bafoussam naîtront tous les autres groupements bamilékés entre le XVe siècle et le XXe siècle. Sur le plan humain, les bamilékés sont regroupés en chefferies de taille très différentes. Ces chefferies ont la même culture, entretiennent entre elles des relations parfois très conflictuelles, surtout quand il s’agit de la conquête territoriale. A l’arrivée des européens, plusieurs chefferies tentaient en vain d’unifier ces chefferies en une plus puissante. Il s’agit par exemple de la chefferie Bafou qui, s’étant séparé de Baleveng, lançait des guerres de conquête sur Fokamezo. Au plan linguistique, bien que constituant une ethnie, les Bamilékés ne parlent pas la même langue. Ceci est lié au fait que chaque chefferie veut exprimer son autonomie par rapport à ses voisins. Cette vision autonomiste a joué un rôle décisif dans la guerre d’indépendance du Cameroun.
Jean Pierre Albert définit les signes biologiques de la mort. « Les signes biologiques de la mort désignent l'ensemble de signes qui surviennent lorsqu'une personne vient de décéder. La perte de conscience, l'arrêt cardiaque et respiratoire ainsi que l'absence de réflexe constituent les principaux signes. On observe également un teint pâle, une rigidité musculaire et une baisse de la température corporelle. Lorsque la personne décédée est allongée sur le dos, le sang s'accumule massivement vers le bas, entraînant une coloration violacée du dos[16]. » Il distingue la mort apparente, la mort relative et la mort absolue. La mort apparente est la présence d'une syncope prolongée caractérisée par une perte de connaissance, un relâchement musculaire. L’activité cardio-circulatoire et respiratoire est présente mais difficile à mettre en évidence à l'inspection, à la palpation ou à l'auscultation. Ces états peuvent s'observer en cas d'hypothermie, de comas toxiques ou de comas endocriniens etc.... La mort relative est une mort intermédiaire ou clinique. Il s'agit d'un arrêt cardio-circulatoire primitif sans retour spontané à la vie mais le retour à la vie est possible grâce aux moyens de réanimation. La mort absolue fait suite au stade précédant mais de façon progressive et insensible laissant le temps aux lésions organiques et tissulaires réversibles pour devenir irréversibles. Pour la Médecine, la mort est un processus graduel d'arrêts de fonctionnement qui touche en premier lieu les centres cérébraux, cardiaques et respiratoires pour se propager ensuite à tous les tissus. La mort est donc le résultat d'une somme de détresses ou de défaillances.
La conception de la vie et de la mort chez les bamilékés épouse celle de l’univers nègre en général, tel que démontré par Cheikh Anta Diop dans son ouvrage Nations nègres et culture[17]. Pour les bamilékés, l’univers est « continu et ininterrompu[18]. » Tout existe dans un continuel et éternel présent. Il n’y a pas de frontières entre les êtres. Tout est connecté à tout. C’est cette conception qui donne au bamiléké le pouvoir d’avoir un double animal appelé son totem. Il peut se transformer en un animal à volonté, parce que tout est lié à tout. Il est donc lié aux animaux. Il peut également se transformer en un arbre. Cette logique de l’univers continu et ininterrompu fait que le passé, le présent et le futur s’entremêlent dans un même univers, faisant que le monde des ancêtres et celui des vivants cohabitent dans un même univers. Le présent est lié au passé et au futur. Les vivants sont liés aux ancêtres et aux générations à venir, tout comme ils sont liés aux autres éléments de la nature. Grâce aux oracles, les vivants connaissent et peuvent modifier certains aspects de leur futur. Parfois quand un bamiléké veut faire un voyage au cours duquel il risque de perdre la vie, les oracles voient ce fait et lui déconseillent le voyage. Quand un bamiléké s’apprête à se marier ou à affronter une épreuve difficile, les oracles étudient le futur et voient si ce mariage pourra marcher. Les oracles lisent le futur. Nous soulignons ceci pour justifier le fait que le passé, le futur et le présent s’entremêlent dans un même univers. L’homme a toutes les richesses du monde en lui, puisqu’il peut se lier à n’importe quel être et profiter de ses richesses et de ses capacités à volonté. En se transformant en son double animal qui est son totem, il acquiert toutes les capacités de son double, ce qui lui permet de surmonter certaines situations que sa nature d’homme ne lui permet pas. Soulignons ici néanmoins que plusieurs personnes utilisent ces capacités pour nuire plutôt à leurs prochains. L’homme est lié à ses ancêtres qui assurent sa protection et le guident. Il est lié à Dieu suprême Si à travers ces ancêtres. Pour les bamilékés, seule l’apparence de l’homme change, il est « éternel et indestructible [19]».
L’homme possède un double invisible qui fait de lui un ancêtre à la mort. Il pourra posséder d’autres qualités à la mort puisque la religion bamiléké n’est qu’une tendance de l’Amonisme. Or dans l’Amonisme et plus précisément son socle d’Egypte pharaonique, il y a trois forces spirituelles en l’homme qui lui assurent l’immortalité. La première force est l’Akh[20] (représente par ibis[21]). C’est la force qui assure la survie de l’âme au monde des ancêtres. La deuxième force est le Ba[22], qui permet au défunt de se mouvoir dans le monde des ancêtres et celui des vivants. On le représente par la cigogne. La troisième force est le Ka[23] qui donne au défunt toutes les qualités, toutes les forces et tout le bonheur dont il peut jouir après la mort de son corps. Le Ka est représenté par deux bras. Sachant que la religion bamiléké n’est qu’un élément de l’Amonisme, on peut reconnaitre également ces trois forces aux ancêtres bamilékés. Des recherches plus poussées y conduiront certainement. En plus du monde des vivants et celui des ancêtres, il y a une multitude d’esprits méchants ou bienveillants qui se trouvent dans le même univers, puisqu’il n’y a aucune frontière selon la croyance bamiléké. Il y a des personnes spéciales qui peuvent voir ces esprits. On dit que ceux-là ont quatre yeux : Les deux yeux que nous voyons et deux autres yeux derrière la tête. Décrivant les civilisations négro-africaines, Cheikh Anta Diop[24] précise que ce genre de personnes ne sont pas obligés de se tourner pour regarder derrière eux.
Pour les bamilékés, entre le corps et l’âme il y a une force tampon appelée la force vitale ou le souffle de vie. C’est une énergie qui permet le contact et les échanges entre les deux entités de l’être humain. Quand cette force vitale diminue jusqu’à un certain seuil, le contact est rompu entre le corps et l’âme et c’est la mort. C’est pour cette raison que certains bamilékés portent sur eux des écorces et des griffes ou poils d’animaux où se concentrent la force vitale de ces animaux et de ces arbres. En portant ces amulettes sur eux, ils augmentent la force vitale de l’arbre ou de l’animal à la leur. Pour pouvoir les atteindre, un sorcier ou une force néfaste de la nature doit pouvoir totaliser une force vitale supérieure à leur nouvelle force vitale. Les Ngan Lekan (Membres du Femlah[25]), les Ngan Sia (membres de Sia[26]) et les ndeu[27] s’attaquent généralement à cette force vitale pour la faire chuter à un certain seuil et provoquer la mort de leur hôte. Cette vision vitaliste peut expliquer le mystère du Femlah, le fait qu’un être humain meurt et renait avec toute sa chair, pourtant cette chair a pourri dans sa tombe. En maitrisant cette vision vitaliste, nous pouvons faire avancer la science et maitriser comment cela peut être possible.
I- La naissance comme l’arrivée au monde des vivants
Nous avons spécifié que les bamilékés considèrent qu’il existe deux mondes qui cohabitent dans un même univers. Il y a un monde pour les ancêtres et un monde pour les vivants. Les ancêtres voient les vivants et agissent sur leur destinée. Ils les punissent, les sauvent des situations difficiles, leur apportent des chances et des malchances en fonction de leurs conduites. La naissance est alors le début d’un long processus qui ne s’achèvera plus jamais. C’est l’arrivée dans la cosmogonie. Bien que la naissance soit l’arrivée dans le monde des vivants, les bamilékés n’accordent pas une grande importance à cette arrivée puisque l’essentiel c’est ce qu’on fera de sa vie[28]. Tous les rites liés à cette naissance sont de nature à préparer et à accueillir le nouveau-né au nouveau monde. Une fois arrivé au monde des vivants, les autres rites le prépareront au monde des ancêtres. L’enfant qui est encore dans le ventre de sa mère est fragile, il est donc nécessaire de le protéger des forces néfastes, d’augmenter sans cesse sa force vitale. C’est pour cette raison que la femme enceinte est constamment chez les oracles pour augmenter cette force vitale. Quand l’accouchement est proche, les femmes enceintes vont chez les oracles spécialisés dans le positionnement des enfants pour s’assurer que des forces malveillantes n’aient pas modifié la position du bébé, ce qui pourrait avoir des conséquences néfastes lors de l’accouchement. La femme qui va accoucher va constamment avec le gugube[29] qui bloque l’action des forces malveillantes.
a- L’accueil du nouveau-né
Quand une naissance est attendue chez les bamilékés, tout le quartier est au courant et s’apprête à donner de la nourriture dans la maison où va naitre le bébé et à venir y manger. Quand ils viennent voir l’enfant, ils disent généralement qu’ils vont manger le Nkui[30]. Cette sauce ne manque presque jamais lors d’un accouchement bamiléké. Mais de plus en plus, elle est remplacée par la sauce jaune[31]. La plupart de temps, les voisins viennent plusieurs fois à la maison pour voir l’enfant. Parfois cela se transforme en une cérémonie où les femmes entonnent des chansons de bienvenue à l’enfant et toute l’assistance danse. Quand on vient voir l’enfant, on doit le porter. Pour empêcher qu’en le portant certaines mauvaises personnes lui fassent du mal, les familles attachent souvent un bracelet spécial au poignet à son poignet ou font d’autres actes de nature à le protéger des forces maléfiques. Des femmes spécialisées doivent s’occuper de la toilette de la mère du bébé. C’est une honte, voir une jalousie pour un voisin ou un membre de la communauté qui ne vient pas voir un nouveau-né dans la communauté.
b- La garde du cordon ombilical et du placenta
L’enfant sort du ventre accompagné du placenta. Les bamilékés qualifient généralement ce placenta de « Chaise de l’enfant ». Ce placenta est généralement enterré au pied du lit de la mère. Dans le ventre, l’enfant est lié à sa mère par le cordon ombilical. A sa naissance, ce cordon est rompu, mais il en garde une partie qui se dessèche et tombe au bout d’une semaine ou plus. La tombée de ce cordon ombilical marque l’entrée effective du nouveau-né dans le monde des vivants. Raison pour laquelle des soins particuliers sont pris pour le conserver. Les bamilékés pensent que « cette partie du cordon ombilical qui libère l’homme à la vie est de nature à réguler celle-ci. »[32] Le comportement du futur membre de la communauté dépend du fait que ce cordon ait été gardé ou pas. Si ce cordon est bien gardé, l’enfant sera calme et plein de valeurs. Si au contraire il a été jeté, l’enfant sera têtu, délinquant et sans principes. Mathias Lonchel souligne ces propos très fréquents chez les bamilékés : « Ne dit-on pas de certains enfants distraits et vagabonds qu’ils font comme si le chien avait volé leur cordon ombilical ?[33] » La garde du cordon ombilical permet aussi à l’enfant d’être rattaché à la terre où son cordon ombilical a été enterré. Un proverbe bamiléké précise d’ailleurs ceci « Rappelle-toi toujours de la terre où est enterré ton cordon ombilical ». Les bamilékés appellent le Dieu suprême Si ou Seh, ce qui signifie la terre en diverses langues bamilékés. En enterrant son cordon ombilical et son placenta, les bamilékés cèdent la garde de l’enfant à Dieu. Ce fait est l’un des éléments qui justifient l’attachement excessif des bamilékés à la terre. C’est une honte pour un bamiléké qui ne possède pas de terre.
La cérémonie de garde du cordon ombilical, qui marque l’entrée effective du nouveau-né au monde des vivants est la suivante : On prend la poussière près des cranes des ancêtres du côté paternel et maternel[34]. Tout au long de notre travail, nous allons appeler cette terre Tsa-Si[35], puisqu’elle va intervenir dans presque tous les rites funéraires bamilékés que nous étudierons. Cette terre apporte la bénédiction des ancêtres au nouveau-né. Deux paquets de cette terre sont apportés, l’un par le grand-père maternel du nouveau-né, l’autre par son grand-père paternel. A eux sont ajoutés les feuilles de l’ortie[36] (Plus connu sous le nom de roi des herbes), un paquet de sel, une bouteille d’huile de palme, les feuilles d’acajou[37], de la boisson et de la nourriture[38]. Mathias Lonchel[39] décrit cette cérémonie chez les Mbafung, dans les Bamboutous[40].
Les objets ci-dessus cités, notamment la chute du cordon ombilical que l’on enduit d’huile de palme, la poudre d’acajou, sont posés au sol sur deux feuilles d’herbe de grâce. Le cola est cassé de manière qu’on obtienne sept morceaux que l’on dépose sur les feuilles de depuot[41]. On y dépose également sept petits tas de sel. On creuse un trou que l’on arrose d’eau et de vin. On y verse un peu de fuseh[42] prélevé de chaque paquet. Le tout est enterré dans le trou creusé, qui se situe à l’angle du mur de la porte d’entrée de la maison, du côté gauche si le bébé est une fille et du côté droit s’il est un garçon. A cette cérémonie simple et pleine de signification, le vin et la nourriture sont partagés à l’assistance.
c- Le cas des jumeaux
La société bamiléké accorde une place de choix aux jumeaux. Ils portent la syllabe « Fack » sur leur nom dans la Menoua[43] et « Gne » dans les Bamboutos. Ces syllabes permettent de marquer la différence entre eux et les autres membres de la société. C’est pour cette raison que dans le département de la Menoua, on verra plusieurs personnes s’appeler Donfack, Tsafack, Fouelefack, Kafack. C’est pareil dans les Bamboutos où on entendra des noms comme Kengne, Kamogne… Ceux qui naissent directement après les jumeaux portent le nom de Kenfack[44] dans la Menoua, pour montrer qu’ils sont ceux qui viennent attendrir les jumeaux. Les parents des jumeaux prennent le nom de Tani[45] ou Mani[46] dans la Menoua et Magne ou Tagne dans les Bamboutos. Quand il y a partage, ils reçoivent toujours deux parts. Le père des jumeaux ne se décoiffe pas pour parler au chef du village. Les jumeaux ont de grands pouvoirs surnaturels. Leur colère est capable d’apporter la malchance à celui qui a provoqué cette colère[47]. Ils peuvent empêcher la tenue d’un événement (danses, fêtes, funérailles…) d’une manière ou d’une autre. Ils peuvent faire tomber la pluie. Les enfants qui arrivent au monde des vivants avec les pieds ou qui s’enroulent avec leur cordon ombilical à la naissance sont également considérés comme des jumeaux. Ils ont beaucoup de pouvoirs, mais ceux des jumeaux surpassent les leurs. Leur père se décoiffe pour parler au chef. Leurs parents n’ont pas le titre de Tani et Mani.
Pour accueillir les jumeaux au monde des vivants, on implante un arbre de paix pour chaque jumeau le jour qu’on enterre leur cordon ombilical. Ce jour est un jour de grande réjouissance pour la famille. Cette cérémonie est faite pour réveiller les pouvoirs des jumeaux. Sans cette cérémonie, ils sont comme tous les autres membres de la communauté et ils sont constamment malades et peuvent même perdre la vie. Pour qu’ils aient leurs pouvoirs, la cérémonie doit être officiée par deux Tanis connus pour leur capacité à concentrer les pouvoirs des jumeaux et à les rendre plus puissants. Mais de plus en plus, n’importe qui officie par crainte de donner aux jumeaux un pouvoir qui peut se retourner contre la famille et la société. On évite de plus en plus de réveiller les pouvoirs des jumeaux.
II- Le monde des vivants comme une étape de la vie
Une fois que l’enfant fait son entrée au monde des vivants, il ne peut plus disparaitre de la cosmogonie. Sa vie au monde des vivants n’est qu’une étape vers sa vie d’ancêtre. Cette vie dans le monde des vivants est rythmée par des rites religieux qu’il est tenu de respecter de peur de susciter la colère des ancêtres. Ses actes commis dans la vie des vivants ont un impact sur lui dans le monde des ancêtres et sur sa famille au monde des vivants.
a- L’importance de l’enfant dans le monde des vivants
Dans la société bamiléké, l’enfant est l’élément le plus important. Une place importante lui est accordée. Il appartient en même temps à toute la communauté et à ses parents. Il appartient à toute la société dans la mesure où il est un élément de la société. Son éducation incombe à toute la société. N’importe quel parent ou ainé dans la société peut punir un enfant qui a fait des fautes. L’enfant appelle tous ceux qui pouvaient l’accoucher papa et maman.
L’enfant est aussi celui de ses parents. La mort qui fait le plus mal dans la société bamiléké est celle d’un homme à l’âge de procréer qui meurt sans enfant. Dans ce cas, il y a une série de rites particuliers qui doivent être faits. Il est enterré avec un caillou à la main ou avec le tronc du bananier pour montrer qu’il n’a pas eu d’enfant. Quand il devient ancêtre, il est souvent très strict quand il veut punir. Posséder un enfant est comme exister chez les bamilékés. Sans enfant, on est vite oublié. La puissance dans le monde des ancêtres dépend du nombre de personnes qui pense à l’ancêtre. Très peu de gens pensent à celui qui meurt sans enfants, ce qui réduit considérablement ses pouvoirs, et le mettent au bas de la hiérarchie du monde des ancêtres. Ce fait rejoint d’ailleurs la théologie. Plus il y a d’adeptes pour un Dieu, plus il devient puissant, et plus il a le pouvoir de répondre aux sollicitations de ses adeptes. Un Dieu qui n’a pas d’adeptes cesse d’être Dieu. Il meurt en quelque sorte. L’homme bamiléké qui meurt sans enfant est rigoureux pour punir parce qu’il veut obliger les autres membres de la famille à penser à lui pour qu’il ait plus de pouvoirs au monde des ancêtres. C’est aussi et surtout compte tenu de ce fait que l’enfant est aussi et surtout l’enfant de ses parents. C’est lui qui assure la puissance de ses parents dans le monde des ancêtres. Les actes qu’on commet de notre vivant ne nous suivent pas au monde des ancêtres. Au monde des ancêtres, il n’y a pas un paradis pour ceux qui ont commis les actes de vertu et un enfer pour ceux qui ont commis beaucoup de péchés. Tous dans le monde des ancêtres ont le même statut d’ancêtre. Les mauvais actes commis par une personne au monde des vivants retournent sur ses enfants ou sur ses frères sous forme de malchance, de malédiction, en provoquant parfois des décès. Mais la famille peut remédier à cela en faisant une série de rites pour contenir cette malchance.
Quand dans la vie des vivants une personne a commis beaucoup de péchés et que sa famille se trouve obligée de contenir les effets de ces péchés, ils pensent en mal de lui, ce qui l’affaiblit dans le monde des ancêtres. C’est pour cette raison que dans la société bamiléké, les personnes sont tenues de faire du bien en même temps pour leurs familles et pour eux. Quand un membre de la famille fait quelque chose de mauvais, toute la famille le réprime, parce que les conséquences de ses actes ne le suivront pas seul, mais suivront toute la famille. Quand un homme se présente dans sa famille avec ce qui ne lui appartient pas, sa femme est la première personne à le repousser par crainte d’appeler la malchance et la malédiction sur les enfants.
Si tous les défunts ont le même statut d’ancêtre, il y a aussi au monde des ancêtres des déchus. Les bamilékés reconnaissent l’existence d’un Dieu maléfique qu’ils appellent Si-Tipong, par opposition à Si. Quand nous décryptons ce terme, nous nous rendons compte que ce Dieu maléfique est d’abord Dieu avant d’être maléfique. Si est le nom du Dieu suprême. Tipong en Yemba signifie mauvais. Si-Tipong veut donc dire mauvais Si. Ce Si-Tipong serait à la tête de la société pernicieuse que les bamilékés appellent le Femlah. Cette secte tue des êtres humains, mais ces êtres humains ne meurent en fait pas. Ils meurent physiquement, on les enterre, leurs chairs pourrissent, mais ils ne sont pas vraiment morts. La secte leur fait renaitre avec leur chair et leur visage qui avait pourri dans la tombe et les envoient très loin de leur lieu de décès. Ils deviennent les esclaves de ceux qui les ont tués et travaillent gratuitement pour eux dans un autre endroit de la terre. Lors de nos recherches, plusieurs personnes ont dit avoir retrouvé des personnes mortes à d’autres villes du pays. A défaut de preuve, nous soulignons seulement le fait.
b- La hiérarchie religieuse du monde des vivants
La hiérarchie religieuse du monde des vivants que nous soulevons ici permet de mieux appréhender la conception de la vie et de la mort chez les bamilékés. Cette hiérarchie religieuse prépare l’habitant du monde des vivants à sa vie d’ancêtre. Elle permet également de soulever et de comprendre les interactions entre le monde des vivants et celui des ancêtres. Ceci permet de comprendre les rites funéraires bamilékés. On ne peut pas comprendre ces rites si on ne comprend pas les idées que les bamilékés font de la vie et de la mort, si on ne comprend pas comment est structurée la religion dans le monde des vivants. Chez les bamilékés, on ne s’adresse pas directement à Dieu. Il y a une hiérarchie. Dieu est trop grand pour qu’on puisse s’adresser directement à lui. Il ne résout que les problèmes qui n’ont pas pu être résolus par les ancêtres. L’essentiel des problèmes posés par la population sont résolus par les ancêtres. Les différents officiants du monde des vivants dont nous allons parler, à divers niveaux, sont chargés de transmettre des doléances et demandes de la population aux ancêtres.
- L’enfant
L’enfant est le plus petit élément de la hiérarchie religieuse. C’est pour lui que l’essentiel des rites se font.
- Les parents
Les parents sont le second élément de la hiérarchie religieuse. Ils ont la possibilité de bénir leurs enfants et de faire certains rites en leurs noms. Ils doivent être présents lors des rites concernant leurs enfants. Ils ont le pouvoir de déposer le Tsa-Si[48] sur le front de leur enfant qui s’apprête à affronter une épreuve difficile ou à faire un voyage. Ceci pour demander aux ancêtres de le protéger durant l’épreuve ou le voyage. Les mots prononcés sont généralement les suivants : « Les dieux et tous les ancêtres de la famille, je vous demande de protéger votre fils (on appelle le nom de l’enfant). Fils (on appelle encore son nom), à l’épreuve que tu t’apprête à affronter, si une chenille monte sur ta tête, qu’elle chute et tombe. Si le méchant te regarde avec des mauvais yeux, qu’il devienne aveugle. Si quelqu’un t’empoisonne, que ce poison devienne du sucre dans ta bouche. Va en paix avec la protection des ancêtres ». Quand un parent dépose le Tsa-Si sur la tête d’un enfant, cet enfant doit s’accroupir ou s’agenouiller. Le parent bénit aussi son enfant par le Ndeudeu[49] qui protège des forces maléfiques. Plusieurs bamilékés portent toujours le ndeudeu sur eux où qu’ils vont. Les croyances populaires attribuent à ce Ndeudeu le pouvoir d’hypnotiser les serpents. Il est dit que si un homme voit un serpent, il mâche ce ndeudeu et le serpent est hypnotisé. S’il crache au sol à côté du serpent et qu’il s’en aille, le serpent ne pourra pas bouger au bout de quelques minutes. Ce ndeudeu tient lieu de blindage. On mange souvent sept graines, sauf les jumeaux et jumelles qui mangent généralement 6 ou 8 graines. Lorsqu’un parent veut bénir son enfant, il mâche les graines de ndeudeu, les recrache sur ses mains et pose ces mains sur l’enfant en prononçant les paroles de bénédiction.
- Les successeurs
Les successeurs jouent le rôle des parents que nous venons de souligner. En plus de cela, ils sont considérés comme les gardiens des cranes. Ils ont la possibilité d’officier pour un membre de la famille qui a des problèmes. Ils s’adressent aux cranes et leur demandent leurs bénédictions pour eux ou pour les membres de la famille. Quand un membre de la famille veut s’adresser aux ancêtres, ils servent d’intermédiaire entre le membre de la famille et les ancêtres. Emmanuel Ghomsi[50] précise qu’ils sont très importants et très respectés dans les familles, car ils sont les seuls capables d’apaiser la colère des ancêtres par les sacrifices. Ils adressent les doléances aux cranes des ancêtres et attendent les résultats. Emmanuel Ghomsi poursuit en précisant que très souvent, les ancêtres leur répondent à travers des rêves. En cas d’une menace sur la famille, ils vont vers les cranes des ancêtres pour demander la protection des ancêtres ou pour demander aux ancêtres de combattre celui qui menace la famille. Les successeurs sont les principaux responsables du bonheur de la famille. Tous ces pouvoirs des successeurs font qu’il y a souvent de sérieux problèmes de succession chez les bamilékés. Ce sont ces problèmes de succession qui ont inspiré la musique de Keng Godefroid intitulé « La succession »[51].
Un ancêtre peut être élevé au rang de dieu et devenir l’ancêtre de toute la communauté si au cour de son existence il a posé des actions qui ont marqué positivement la société pendant longtemps. Dans ce cas, le successeur de cet ancêtre devient l’intermédiaire entre cet ancêtre et toute la communauté. Celui qui veut s’adresser aux ancêtres vient voir le successeur accompagné de l’huile de palme, du sel et de la boisson. Le successeur ouvre la petite case où se trouve le crane de l’ancêtre ou le sanctuaire pour le démi-dieu, se présente à lui en versant l’huile sur son crâne et en versant le sel tout autour. Généralement, il se présente comme ceci, après avoir appelé le nom de l’ancêtre : « Je suis ton fils, je suis celui que vous avez choisi pour jouer l’intermédiaire. Nous savons que tu veilles toujours sur nous. Nous t’avons apporté de l’huile que voici (il verse l’huile sur son crane) et aussi du sel (il verse du sel autour du crane). Nous t’avons aussi apporté la boisson (on verse de la boisson au sol à côté de son crane). Aujourd’hui ton enfant a besoin de toi. Je vais le/la laisser te parler.» L’enfant prend la parole et fait sa demande. Le successeur peut faire la demande à la place de l’enfant, qui peut se trouver loin.
- Les oracles
Les oracles sont généralement appelés les Ngangah. Ils comprennent les Dzu-Si[52] et les Kem-Si[53]. Ce sont les véritables intermédiaires entre le monde des ancêtres et celui des vivants. Ils ne choisissent pas de le devenir. C’est le Dieu Si qui les choisi. Quand une personne a été choisie pour devenir oracle, elle ne peut refuser. Quand le choix est fait, les ngangah informent la famille de la personne choisie pour qu’on procède à la cérémonie qui fait que la personne devienne véritablement oracle. Quand une personne fait cette cérémonie, on dit qu’on l’a « lehtèh ». Quand une personne choisie refuse, Dieu la menace par les rêves, les maladies et les risques de mort. S’il persiste dans le refus, il peut mourir ou devenir malade mental jusqu’au jour où il accepte de devenir oracle.
Dans la société, les ngangah sont chargés de transmettre le message de Dieu aux hommes et de transmettre le message des hommes à Dieu, d’informer les membres de la société des éventuels dangers qui peuvent intervenir. Ils sont en contact avec les ancêtres. Quand un ancêtre a un message à transmettre aux vivants, ce sont eux qui reçoivent ce message et le transmettent à qui de droit. Parfois en route ils interpellent un individu et lui transmettent le message du monde des ancêtres. Quand les ancêtres veulent s’adresser à un membre de leur famille et le font par rêve ou par un autre moyen, si le récepteur du message n’arrive pas à le comprendre, ce sont les ngangah qui sont chargés de clarifier le message. Les oracles ont aussi la possibilité de laver la malchance et la malédiction. Ils peuvent soigner quelques petits problèmes mystiques. Quand un ngangah ne transmet pas intégralement le message des ancêtres, le Dieu Si le punit, la plupart de temps en l’immobilisant pour quelques minutes au cours desquelles il ne peut plus bouger. Il y a de faux oracles qui, soit n’ont aucun pouvoir et font semblant de l’avoir en inventant des mensonges, soit prennent leurs pouvoirs d’une mauvaise source. Quand on arrive chez le vrai ngangah, on n’a pas besoin de poser son problème parce qu’il le sait déjà. Dès l’arrivée, il/elle commence à trouver des solutions aux préoccupations de l’hôte.
- Le Nganfu (marabout)
Il est plus connu sous le nom de marabout. Il est chargé de soigner les maladies mystiques, de combattre les maladies liées aux attaques des sorciers ou des personnes mal intentionnées. Il a aussi le pouvoir de tuer un sorcier qui insiste pour vouloir faire du mal à un membre de la communauté qu’il a blindé[54]. C’est le combattant des forces mystiques et des personnes mal intentionnées de la société bamiléké.
- Le Ndeu
Le Ndeu ne fait vraiment pas partir de la hiérarchie religieuse bamiléké. Il est doué de certains pouvoirs lui permettant de soigner les maladies à l’intérieur du corps humain ou de celui d’un animal sans l’opérer. Il peut se transporter à l’intérieur du corps humain, retirer une partie du corps sans qu’on ne s’en rende compte. Ce type d’être est présent dans plusieurs civilisations relevant de l’Amonisme. Cheikh Anta Diop le décrit en ces termes : « Il voit aisément les entrailles de ses convives et la moelle de leurs os, il voit leur sang circuler, leur cœur battre. Il peut nous enlever un os sans nous ouvrir avec ses propriétés d’être de quatrième dimension. »[55] A l’origine, ce pouvoir permet de guérir les maladies comme le cancer, les tumeurs et autres maux qui ne sont pas mystiques, donc ne relevant pas de la compétence des nganfou et des oracles. Mais de plus en plus, les possesseurs de ces pouvoirs ont commencé à les utiliser pour manger les êtres humains. Puisqu’ils peuvent se transporter dans un organisme humain, ils le font, non pas pour soigner, mais pour couper une partie du corps et manger. Il suffit que ces Ndeu déconnectent le cœur pour provoquer la mort de leur hôte. Ce qui fait qu’ils sont devenus très craints aussi bien par les membres de la société que par les oracles et les Nganfou avec qui ils sont sensés travailler de concert. Ceci est lié au désordre qu’il y a eu chez les bamilékés avec l’arrivée de l’occident, et plus particulièrement la chute du groupe des sept[56] qui est censé protéger mystiquement le village et combattre les dérives des possesseurs de pouvoirs mystiques. Ce groupe n’a plus véritablement joué son rôle. Ce qui a encouragé certains Ndeu et possesseurs de pouvoirs mystiques à en faire un mauvais usage en toute impunité.
- Les chefs de villages
La société bamiléké est une société fédérale. Une chefferie de village réunis plusieurs chefferies de quartiers. Chaque chefferie de quartier a un degré d’autonomie. Mais la chefferie supérieure prime sur toutes les chefferies inférieures. A la tête de chaque chefferie se trouve un chef qui porte le titre de Fo’o ou Fon. Cheikh Anta Diop précise le caractère divin du chef nègre. « Dans les sociétés agricoles, la vie collective exigeait de bonne heure une structure temporelle coordonnatrice des activités. Le roi prit un caractère supranaturel, divin. Le roi est Dieu. » Dans la société bamiléké, le Fo’o a également le caractère divin. Il est le représentant de Dieu dans la communauté. Ce qui le place au sommet de la hiérarchie religieuse. Il y a des rites qu’il est le seul capable d’officier. Il est capable de communiquer avec les ancêtres sans intermédiaire des oracles. D’après l’encyclopédie libre Wikipedia, il est le symbole de tout ce qui concourt au bonheur de son peuple. Ses fonctions le place comme la courroie de transmission entre le peuple qu’il gouverne et Dieu placé au-dessus de tous pouvoirs. Il porte aussi le nom de Nah-Temah[57]. Quand il rend l’âme, on ne dit pas ouvertement qu’il est mort. Soit on dit qu’il est parti, soit on dit que le baobab est tombé[58]. Wikipédia continue en précisant qu’il est considéré comme : « Le plus fort en tout point de vue dans la communauté placée sous son autorité parce que tous les sorciers, magiciens, médiums, devins guérisseurs lui passent leurs puissances pendant les neuf semaines de l’initiation. C’est ainsi qu’on dit que dans chaque collectivité traditionnelle, le roi réunit tous les pouvoirs surnaturels existant dans son unité de commandement. » Il incarne l’essence de la pensée et de l’action de toute sa communauté. Il faut néanmoins préciser que le pouvoir du chef est contrôlé par le groupe des sept, le groupe des neuf et plusieurs sociétés mystiques, pour lui empêcher de devenir tyrannique.
Il faut préciser que l’autorité du chef bamiléké est aujourd’hui très remise en question. Ce fait commence à l’époque coloniale où l’administration coloniale française exigeait des autorités traditionnelles de collecter les impôts chez leurs populations, d’amener leurs populations au respect des autorités coloniales et à la construction des routes et ponts. Ce qui mettait le chef bamiléké en désaccord avec son peuple qui voyait en lui, non plus le représentant de Dieu sur la terre, mais un excellent agent de la colonisation. Au lieu de garant du bonheur du peuple, le chef bamiléké devenait celui qui nuisait aux intérêts de ce peuple. L’avènement de la République en 1960 ne change rien à cette situation. Les deux gouvernements qui ont dirigé le pays ont exigé d’eux une adhésion au parti au pouvoir qui était contesté par la majorité des populations bamilékés. Ils sont devenus les militants du parti au pouvoir ayant pour mission d’amener leurs populations à voter pour le parti au pouvoir, ce qui a contribué davantage à contester leur autorité.
III- La mort comme la fin d’une vie et le début d’une autre vie
L’adoption des rites funéraires est fonction des différentes conceptions que les bamilékés se font de la mort. Cette mort vient mettre un terme aux projets sociaux engagés en communauté. Il faut donc adopter des rites particuliers pour rendre cette mort plus acceptable et moins douloureuse.
a- La mort comme un obstacle dans les projets sociaux
Quand un être humain est vivant, il est dans une société. Il interagit avec les autres membres de cette société. Ensemble ils élaborent des projets. Les autres membres de la société comptent sur lui pour réussir certains de leurs projets. Sa mort crée un vide dans sa famille et sa société et constitue un obstacle à l’accomplissement de certains projets sociaux. On ne peut plus le voir, ni l’entendre. Il ne peut désormais s’adresser aux autres membres de la communauté que par les rêves ou par intermédiaire des oracles. Il y a des membres de la société qui sont tellement indispensables que leur mort crée un véritable choc, menace l’équilibre même de la société. La mort d’un chef par exemple crée un grand vide dans le village. Pareil pour certains hommes politiques ou religieux qui mènent des actions pour la construction de la communauté. Parfois il faudra attendre plusieurs générations pour voir ressurgir des hommes avec de telles capacités. Parfois les sociétés entières voient leurs destins basculer à cause de la perte d’un membre de cette communauté qui y jouait un rôle déterminant. Il s’agit plus précisément du cas des Révolutionnaires. La mort de Patrice Lumumba a créé un véritable choc dans la société congolaise en particulier et africaine en général. Celle d’Ernest Ouandié a mis fin à le Révolution camerounaise. La perte d’un parent a toujours un impact néfaste dans la famille. Cette mort prive certains enfants de l’éducation, puisque ce sont les parents qui paient la scolarité de leurs enfants, surtout dans le cadre de notre continent où les mesures d’accompagnement des enfants démunis sont presqu’inexistants. C’est pour cette raison que les bamilékés conçoivent la mort comme un grand mal qu’il faut empêcher. Quand elle survient, les bamilékés pleurent, s’enroulent pour exprimer le mal qu’ils ressentent de cette disparition.
Dans l’Amonisme, et plus précisément son socle d’Egypte pharaonique, Seth symbolise la mort. Il a assassiné son frère Osiris et est traduit devant la justice des dieux. Horus, le fils d’Osiris et son héritier sur le trône est chargé de venger son père. D’où le combat incessant qu’il livre à Seth. Dans ce combat, les autres dieux prennent le parti d’Horus. Ce combat s’achève par l'exécution de Seth représenté par l'abattage d'un bœuf :
Je suis ton fils, je suis Horus. Je suis venu pour t'amener ces tiens ennemis que l'Ennéade[59] a soumis à toi. (...). Atoum[60] a abattu Seth pour toi en ce sien nom de bovin. Atoum l'a mis en pièces pour toi en ce sien nom de bœuf à longues cornes (...) Atoum te l'a livré comme une bête mauvaise. Il sera ligoté sous la garde du peuple du ciel en ce sien nom de bœuf[61] de sacrifice. Je te l'ai amené comme un bœuf avec une corde au cou. Mange-le, goûte sa tête. Tous ses morceaux sont à toi. Sa carcasse m'appartient car je suis ton héritier sur ton trône (...)[62]
La logique bamiléké et cette logique amoniste sont pareilles. Il s’agit de combattre la mort qui est un grand mal. Horus combat sans cesse Seth qui symbolise cette mort.
b- La mort comme continuité d’une nouvelle vie
Dans l’Amonisme et son socle d’Egypte pharaonique, le défunt devient un ancêtre. La mort n’est plus un grand mal à combattre, mais une étape vers une vie plus grande, vers le monde des ancêtres. Après que Seth ait tué son frère Osiris, Isis la femme d’Osiris a ressuscité son mari. Avec cette résurrection, Osiris devient maitre de la vie et de la mort. Il devient le dieu des dieux puisqu’il est mort et est revenu à la vie. Il devient plus puissant et s’élève au-dessus des autres dieux. Tout défunt est assimilé à Osiris. Son entrée et sa place dans le monde des ancêtres dépendent de sa conduite au monde des vivants. Il comparait au tribunal d’Osiris devant 42 juges. Il est amené devant la balance de la Maât par Anubis où est pesé son cœur contre la plume de la Maât. Cette plume de la Maât symbolise la Conscience pure. Thot inscrit toutes les actions de sa vie passée. Horus le conduit vers la chapelle où se trouve Osiris, et derrière lui se trouvent Isis et Nephtys. S’il a commis beaucoup de péchés de son vivant, son cœur est plus lourd que la plume de la Maât. Dans ce cas, il doit être réincarné et ramené à la vie pour pouvoir corriger ses fautes. Au cas contraire, il devient un ancêtre et a le rang d’un demi-dieu.
Dans la même logique, Louis-Vincent Thomas précise que « la disparition en Afrique noire fait partie de l’ordre des choses[63] ». Concernant les religions africaines (Amonisme), Birago Diop précise : « Ceux qui sont morts ne sont jamais partis/Ils sont dans l'ombre qui s'éclaire /Et dans l'ombre qui s'épaissit, / Les morts ne sont pas sous la terre /Ils sont dans l'arbre qui frémit, /Ils sont dans le bois qui gémit, /Ils sont dans l'eau qui coule, /Ils sont dans la case, ils sont dans la foule /Les morts ne sont pas morts[64].»
Contrairement à la médecine qui considère la mort comme la cessation de la vie, la cosmogonie bamiléké perçoit la mort comme le début d’une nouvelle vie, plus importante que celle du monde des vivants. Une personne décédée devient un ancêtre, se dote de pouvoirs supranaturels lui permettant de jouer ce rôle d’ancêtre. Il peut gratifier et punir les vivants. Il guide les vivants et les évite de commettre des erreurs, communique avec eux par le rêve ou à travers les oracles. Chaque famille bamiléké dispose d’un endroit où elle garde les cranes de ses ancêtres. Les membres de la famille viennent constamment verser de l’huile, du sel et du vin à ces cranes pour demander leurs bénédictions ou leur faire des demandes, ou les honorer tout simplement. Lors de toutes les cérémonies, il faut au préalable les nourrir. Lors du mariage bamiléké par exemple, un élément de la dot est l’argent des ancêtres, celui avec lequel on va leur donner à manger. Jean-Didier Urbain affirme qu’« Un mort sans lieu est un mort errant, un mort qui est nulle part et partout[65]. »
Etant devenu un ancêtre, le défunt entre dans la hiérarchie religieuse du monde des ancêtres et peut désormais résoudre certaines demandes que lui font les membres de sa famille. Si la demande est au-dessus de ses capacités, il la transmet aux autres ancêtres plus qualifiés que lui. Au cas où les ancêtres ne parviennent pas eux aussi à résoudre la demande, ils la transmettent à Dieu qui résous toute sorte de problème. Le monde des ancêtres est hiérarchisé. Pour ceux dont les actions positives sont restées au niveau de leurs familles, ces ancêtres sont tout simplement des ancêtres des familles[66]. Les ancêtres qui sont des grands parents d’une famille deviennent les ancêtres de toute la grande famille. Ils sont au-dessus des ancêtres de petites familles biologiques. Les ancêtres dont les actions sur terre ont fait qu’ils se sont imposés à la conscience de tout un peuple deviennent des demi-dieux. Ils sont les plus proches du Dieu suprême Si. Leur pouvoir est très grand, ce qui leur donne la possibilité d’agir comme de véritables dieux. Les Bamilékés leur donne souvent le nom de chef (Fo). Ils construisent des sanctuaires en leurs noms où ils viennent souvent faire des offrandes pour demander leur bénédiction. Parmi ces ancêtres, on peut noter Fo Tockem qui dispose de plusieurs lieux de culte à Bafou. Une organisation culturelle et de voyages a d’ailleurs adopté son nom[67]. Si Tockem est glorifié comme démi-Dieu, il a été difficile pour nous de savoir exactement ce qu’il a fait de concret de son vivant. D’après ceux que nous avons interviewés, il aurait apporté la pluie au village quand il y avait la sècheresse, il aurait aidé le chef à administrer le village, il aurait réduit la mortalité infantile. Cette dernière thèse semble tenir puisque plusieurs femmes dont la mort menace les enfants l’invoquent pour demander sa protection. On peut aussi citer Fo Ndou[68] toujours à Bafou. Quand un ancêtre s’élève au rang de demi-dieu, au lieu de lui construire de petits endroits pour conserver son crâne, on lui construit souvent de petites cases au seuil des maisons ou au fond des concessions, où tous les membres de la famille ou de la communauté, en fonction de son influence, peuvent venir faire des sacrifices et demander sa bénédiction. Parfois, ce sont de grands sanctuaires qui sont construits pour eux. Comme nous l’avons précisé plus haut, le pouvoir qu’un ancêtre acquiert au monde des ancêtres dépend du nombre de vivants qui pensent à lui et qui lui font des demandes et des sacrifices. D’ailleurs, les restes d’Osiris ont été trouvés[69], ce qui prouve qu’il n’était pas un dieu mythique, mais bien l’ancêtre des égyptiens qui a conduit une partie du peuple noir de la Nubie vers l’actuelle terre d’Egypte où a éclos la plus grande civilisation humaine. Cheikh Anta Diop[70] précise que ce sont les œuvres d’Osiris, de sa femme Isis et de leur fils Horus qui les élèvent au rang de dieux. Chez les bamilékés, au sommet de la hiérarchie religieuse du monde des vivants, tout comme celui des ancêtres se trouve le Dieu suprême qui porte le nom de Si[71]. Quand le crane d’un ancêtre est retiré et ses funérailles faites, il entre triomphalement et officiellement au monde des ancêtres. Il acquiert tous ses pouvoirs. Mgr Dieudonné Watio clarifie ce fait : « Les relations entre les vivants et les morts s’expriment par les rites d’intégration et le culte rendu aux ancêtres. Les rites d’intégration sont les funérailles immédiates ou lointaines, qui visent à intégrer le défunt dans le pays et la communauté des ancêtres. Ces rites sont fondés sur une croyance fortement ancrée dans les mentalités, à savoir que celui qui meurt ne peut entrer et reposer dans la paix des ancêtres qu’après avoir bénéficié des cérémonies des funérailles officielles organisées par le groupe ethno-social[72]. »
Les européens qui se sont penchés sur les différentes tendances de l’Amonisme en Afrique n’ont pas compris ce fait et ont parlé du culte des ancêtres à cause de l’importance accordée aux ancêtres. Chez les bamilékés, le Dieu suprême est appelé Si ou Seh en fonction des endroits. C’est pour faire allégeance ou pour remercier Dieu que les bamiléké ont adopté les noms comme Silatsa[73], Sikati[74], Simo[75], Sikounmo[76]… Les oracles portent également le nom de Dieu. Les oracles femmes sont appelées Dzu-Si[77] tandis que les hommes sont appelés Kem-Si[78]. On peut aussi ajouter les Ndya-Si[79] qui sont de petites cases généralement situés soit au seuil des concessions, soit au fond. Ta Ngua Nom[80] précise que pour les bamilékés le Dieu suprême créateur et incréé Si est l’esprit universel qui se rend tantôt visible, tantôt invisible. Il est en perpétuel éveil et en continuelle expansion à travers l’ensemble de sa création. Cette expansion serait sans fin. Il peut se manifester sous n’importe quelle forme et chaque manifestation « participe de cette expansion et de cet éveil continuel de l’Esprit universel »[81]. Ta Ngua Nom continue :
Chaque être évolue vers la réalisation d’un contact ou d’une identification de plus en plus conscient et de plus en plus total avec l’Esprit universel « SI» qui est tout. Pour les Spiritualistes Bamiléké, plus l’être progresse dans ce réveil, plus il est objectivement conscient que lui et le Créateur sont un et que comme tel il a la même sagesse et les mêmes pouvoirs illimités. Dans le même ordre d’idées, les spiritualistes Bamiléké croient que la différence spirituelle fondamentale qu’il y a entre deux créatures est la différence entre le degré de réalisation consciente de l’unité intérieure de chacune d’elle avec « SI », l’Esprit universel. De toutes les créatures terrestres, le spiritualiste bamiléké croit que l’être humain est celui qui est le plus avancé dans cette prise de conscience de son unité avec « SI »[82].
Presque tous les contes bamilékés soulèvent le rôle bienfaiteur des ancêtres qui arrivent toujours pour sortir les gens des situations difficiles. Dans ces contes, quand un individu se trouve au plus profond de la détresse, un ancêtre arrive toujours pour le soutenir et l’en sortir.
c- Les signes annonciateurs de la mort
Le peuple bamiléké vit en harmonie avec la nature. Il communique avec elle, interprète ses signes. Ceci rejoint la logique vitaliste de la cosmogonie nègre évoquée par Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga[83]. Selon la conception africaine, tous les êtres sur terre sont vivants, et la terre elle-même est vivante. Etant vivants, tous les êtres (animés comme inanimés) ont des forces vitales. C’est ce qui justifie l’utilisation des amulettes que les européens ont appelés les gris-gris. Cheikh Anta Diop précise que c’est l’incompréhension de ce principe vitaliste qui a fait parler de fétichisme et d’animisme. Nous avons précisé qu’un bamiléké initié peut avoir un double animal et peut se transformer en arbre. Nous soulevons ces faits pour montrer l’harmonie que les bamilékés entretiennent avec la nature. Ils interagissent avec la nature. Quand un malheur ou un bonheur doit arriver dans la famille ou à une communauté bamiléké, la nature leur informe. S’ils ne parviennent pas à décrypter le message que la nature veut leur transmettre, ils se rendent chez les oracles pour la clarification. Avant que la mort d’un membre de la communauté bamiléké arrive, la nature prévient la famille.
- Les rêves
Chez les bamilékés, les rêves traduisent toujours une réalité, surtout les rêves faits au lever du jour. Les rêves qui annoncent la mort sont généralement ceux qu’on fait et on perd un pied de sa chaussure dans la rivière. Si c’est le pied gauche qu’on perd, alors la mort surviendra du côté maternel. Si c’est le pied droit, alors elle surviendra du côté paternel. Il y a aussi les rêves où on est plusieurs à un endroit et une personne se sépare du lot et qu’on ne le trouve plus. Celui qui s’est séparé du lot n’est pas forcément celui qui doit mourir. Il y a aussi celui qu’on fait, on est ensemble et subitement un obstacle infranchissable survient et sépare brusquement un membre du groupe qui se bat pour être avec les autres. Ces rêves annoncent une mort imminente dans la famille. Il y a aussi celui qu’on fait et une personne meurt. Il faut préciser que les rêves sont fonction des personnes. Il y a des gens que leurs rêves expriment exactement la réalité, ceux dont les rêves expriment exactement le contraire de la réalité et ceux dont les rêves n’expriment rien du tout. Les rêves sur la mort permettent de prévenir la mort. Ils montrent à la famille le risque d’une mort si elle ne se protège pas des forces maléfiques. C’est aussi un moyen pour les ancêtres d’attirer l’attention sur un membre de la famille dont la force vitale est devenue tellement faible qu’il peut être frappé par la mort à tout moment.
- L’annonce des oracles
La plupart de temps, les ancêtres demandent aux oracles d’annoncer les menaces de mort pour attirer l’attention des membres de la famille, appeler à leur prudence ou les amener à prendre des mesures pour renforcer leurs forces vitales. Parfois, si la famille ne réagit pas, les oracles annoncent l’imminence de la mort et signalent qu’il n’y a plus d’issue[84]. En 1995, la famille Woubeng à Bafou vient de perdre son premier fils, les oracles lui annoncent la mort imminente d’un second fils dont lq force vitqle est devenue tellement faible qu’il ne peut plus être récheté. Trois mois plus tard, la famille perd son troisième fils. Plusieurs de nos informateurs nous ont certifié des cas pareils. Reprécisons qu’il y a de faux oracles qui n’ont pas été choisis par Dieu et qui ne possèdent aucun pouvoir. Ils disent des mensonges pour avoir un peu d’argent. Certains oracles ne tirent pas leur pouvoir de Si, mais de Si-Tipong que nous évoqué plus haut.
- Le comportement incompréhensible de la personne qui va mourir
Parfois celui qui va mourir pose des actes incompréhensibles, que son comportement habituel dans la société ne tolère pas. Un homme qui était très respectable peut curieusement se mettre à sauter en désordre dans un lieu public, il peut se mettre à insulter tout le monde sans raison. Il peut poser des actes qui tendent à la folie. Chez les Yemba, on dit que « A wou Tsia Ngoh Nkoue[85] ».
- L’annonce faite par des chiens
L’un des signes annonciateurs de la mort est le comportement des animaux. Quand le chien vient déféquer juste devant un bamiléké, ou bien s’il passe la nuit à hurler près de la concession, c’est un signe annonciateur de la mort. Il y a aussi un oiseau annonciateur de la mort. Il passe la journée à chanter. Nous n’avons pas pu joindre le cri à un oiseau spécifique, mais nous allons essayer ici de donner son cri (Koun Koun Kouroun).
- L’annonce faite par les arbres
Pour annoncer l’imminence de la mort chez les bamilékés, parfois quand on est en train de passer, une feuille verte de bananier tombe, sans aucune force extérieure qui agit sur elle. Parfois une branche d’arbre qui n’est pas encore sèche tombe devant nous, sans aucune force extérieure qui a provoqué sa chute. Il y a aussi un type particulier de champignon qui annonce la mort. Le premier à voir ce champignon sait qu’une mort est inévitable dans sa famille.
- Les battements de paupières
Les battements de paupières n’annoncent pas automatiquement la mort. Ils annoncent un événement où il y aura beaucoup d’émotion et qui va conduire aux pleurs. Ce qui fait que la plupart de temps c’est la mort. Si les paupières battent du côté gauche, cela suppose que l’événement surgira du côté maternel. S’ils battent du côté droit, cela veut dire que l’événement surgira du côté paternel.
Nous n’avons cité ici que quelques signes. Il y a beaucoup d’autres. Dans tous les cas, le bamiléké, grâce à l’harmonie qu’il entretient avec la nature, sait détecter les signes annonciateurs de la mort.
IV- Ceux qui ont le pouvoir de revenir plusieurs fois
Dans la cosmogonie bamiléké, il y a des gens qui ont le pouvoir de revenir plusieurs fois sur la terre. Ils peuvent mourir quand ils veulent et renaitre à volonté. On les appelle les Geumoh[86] en yemba[87]. Quand ils meurent, on ne dit pas qu’ils sont morts, mais qu’ils sont partis. Ils meurent souvent quand ils sont enfants. Quand ils atteignent un certain âge et fondent une famille, généralement ils ne partent plus, parce qu’ils se soucient de l’avenir de leurs enfants. Il y a des moyens pour leurs empêcher de partir. Généralement on leur met un gros bracelet au bras qui réduit leurs pouvoirs, ou bien on se rend chez l’oracle qui fait des rites particuliers pour les priver de ce pouvoir de changer de monde à volonté. Quand les geumoh partent, généralement on coupe leurs têtes, leurs bras, du moins on les mutile pour les empêcher de revenir nuire à d’autres familles.
V- Les éventuelles causes de la mort
Dans la conception bamiléké, la mort n’est presque jamais naturelle, il y a toujours quelque chose, une force surnaturelle qui a provoqué cette mort. Cette conception vient de l’Amonisme et de son socle d’Egypte pharaonique. La mort du Dieu Osiris n’a pas été naturelle. Elle a été provoquée par son frère Seth. Néanmoins, les bamilékés distinguent deux grandes causes de la mort : La mort naturelle et la mort provoquée. La mort naturelle concerne uniquement les maladies. Même parfois les bamilékés pensent que la maladie est l’expression d’une force néfaste. Les plus grandes causes de la mort sont:
a- La maladie
Même dans ce cas, les bamilékés trouvent presque toujours des causes surnaturelles qui ont provoqué la maladie. Pour eux, il y a des forces néfastes capables de rendre un être humain malade, de lui donner le cancer, le paludisme, le SIDA et d’autres maladies.
b- Les ancêtres
Quand un bamiléké atteint un certain âge et meurt, on dit généralement que ce sont les ancêtres qui l’ont rappelé à eux. Dans ce cas, il n’y a pas trop de lamentations. Le deuil ressemble à une cérémonie festive. Les ancêtres ne rappellent pas seulement les personnes âgées. Quand une personne ne prend pas soin des ancêtres et ne fait pas les rites que la coutume exige, les ancêtres l’avertissent. S’il récidive, ils peuvent provoquer sa mort en le poussant vers les accidents ou autres moyens de mourir. Ils peuvent lui retirer leur protection, ce qui l’expose aux forces néfastes de la nature. Parlant des cultures africaines, Jean Ziegler précise : « personne ne quitte jamais ses ancêtres et les ancêtres ne quittent jamais personne[88] ». Les ancêtres exercent une forte pression sur les vivants. « La maladie, les malheurs et la mort sont quelques fois les indices de leur colère[89] ». Parfois les ancêtres tuent ceux qui créent du mal dans la famille. Dans ce cas, on dit que l’ancêtre a tiré le pied de la personne. Mgr Dieudonné Watio[90] précise : « Les ancêtres se présentent comme les plus farouches censeurs et les gardiens les plus vigilants des lois. (…) Les ancêtres agissent comme une police invisible de la famille et de la communauté ». Les ancêtres sont aussi les protecteurs de la vie. Plusieurs personnes que nous avons interviewées et qui étaient dans le coma ou dans des conditions difficiles où leur mort était imminente nous ont rassuré avoir vu un de leurs ancêtres qui est venu leur menacer en leur demandant de rentrer.
c- La violation d’un tabou
La société bamiléké est construite sur plusieurs interdits que le citoyen ne doit pas transgresser, sous peine de la punition et parfois la mort. Parmi ces tabous, nous pouvons citer le travail du jour tabou[91], l’entrée dans la forêt sacrée sans autorisation, s’assoir sur le trône du chef en connaissance de cause. Quand un bamiléké transgresse ces interdits, il y a des rites spéciaux pour le racheter. S’il ne fait pas ces rites, il peut mourir.
d- Les Ndeu, le Femlah et le Sia
Comme nous avons précisé plus haut, le ndeu voit l’intérieur du ventre d’une personne. Il peut se transporter à l’intérieur d’un corps et déconnecter le cœur ou manger la chair de la personne, entrainant de ce fait sa mort. Amon a donné ce pouvoir pour guérir les maladies qui sont à l’intérieur du corps, puisqu’il n’existe pas de chirurgie dans les cultures négro-africaines. Mais certains détenteurs de ce pouvoir en abusent pour provoquer la mort, d’autant plus que chez les bamilékés les groupes des sept ne jouent plus leur rôle. En plus des ndeu, il faut ajouter la secte pernicieuse le Femlah qui est l’une des plus grandes causes de décès chez les bamilékés. A côté du Femlah, il y a une autre secte pernicieuse moins influente que le Femlah appelée le Sia[92] qui provoque aussi des morts chez les bamilékés. Une chanson populaire des yemba fait allusion à ces deux sectes pernicieuses. Nous la traduisons directement en français : « Le membre du femlah a tué l’enfant du membre de Sia, demain de très bonne heure on va régler cela au marché Moukouani. Le membre du Femlah, eh eh. Le membre du Sia eh eh… » Cette chanson signale que les deux sectes sont de puissance presqu’égales au point que leurs membres peuvent s’affronter. Le membre du Femlah s’appelle Ngan Lekang tandis que le membre du Sia s’appelle Ngan Sia. Un autre nom de Femlah est le Lekang. C’est d’ailleurs le nom le plus connu. A ces deux sectes il faut ajouter les sectes pernicieuses occidentales où ont adhéré certains bamilékés.
e- Le Fem
Le Fem est la plus haute institution juridique des bamilékés. Il existe deux à Bafou : Celui de Tsinbeu et celui de Manfo Zogang. Dans le système judiciaire bamiléké, le chef de famille tranche les problèmes de la famille. S’il ne parvient pas à trancher, il envoie chez le chef de quartier qui convoque sa cour pour statuer sur le problème et le trancher. Si à son tour, il ne parvient pas ou que ses décisions n’arrangent pas les parties, le dossier est transmis à la chefferie supérieure de la communauté. Cette justice concerne plus les problèmes physiques. La plus haute autorité juridique est le Fem. Elle statut sur tous les problèmes, surtout ceux qui touchent à la métaphysique, comme la mort d’un proche qu’on accuse une autre personne d’être à l’origine. Au Fem il n’y a pas des gens chargés de juger. Le Fem se fait par juron. Celui qui se plaint de la mort de son enfant par exemple va demander au Fem de chercher le coupable et de le frapper. Quand on va généralement au Fem c’est pour gâter. Quand le plaignant fait la demande au Fem, cette justice active une force dans la nature chargée de trouver le coupable et de le tuer. Le Fem avertit avant de tuer. Nos interlocuteurs nous ont rapporté des cas où les gens qui dorment dans leurs maisons se réveillent à leur véranda alors que la porte reste fermée. Avec cet avertissement, le coupable doit se rendre directement au Fem pour accepter son tord et négocier pour qu’on désactive la force de la nature chargée de le retrouver. S’il ne se rend pas au Fem, la force chargée de le retrouver va le tuer. Elle vient souvent sous forme de tonnerre. Quand la force que le Fem a activée dans la nature a déjà accompli sa mission, le plaignant doit venir au Fem désactiver la force, sinon elle va se retourner contre lui et peut occasionner aussi sa mort. C’est pour cela qu’on dit que le Fem va et revient.
f- Ceux qui vont de l’autre côté porter le sac de la mort
Dans la croyance bamiléké, il y a plusieurs côtés du monde, peut-être des planètes. Pour savoir ce fait avec exactitude, il faut plonger fondamentalement dans la religion bamiléké. Il y a des gens qui vont souvent dans ces côtés du monde pour rapporter des sacs à la communauté. Quand ils y vont, les habitants de ces côtés les pourchassent. Ils doivent donc être les plus rapides possibles pour pouvoir échapper aux habitants de ce côté du monde. Ils peuvent y porter toutes sortes de sacs : le sac de la richesse, celui de la maladie ou n’importe quel autre. Quand ils portent le sac de la richesse et viennent verser le contenu dans la communauté, elle connait une période de richesse. Mais comme les sacs se ressemblent, en voulant porter celui de la richesse ils peuvent porter celui de la maladie ou de la mort. Dans ce cas, l’épidémie ou la mort s’abat sur la communauté. Si c’est le cas, la personne doit accepter qu’il soit allé voler ce sac et des rites doivent être organisés pour annuler les effets de ce sac dans la communauté. En portant le sac, s’ils se font attraper par les habitants de l’autre côté du monde, ils meurent. Ils peuvent aller seul ou avec d’autres personnes. Il faut aussi préciser qu’à côté de ceux qui vont porter les sacs, il y a les voleurs mystiques qui extraient la production alimentaire des autres au sol et l’amènent dans leurs plantations. La production de celui qu’on a volé est faible malgré les efforts qu’il déploie. Certaines personnes fétichent leurs plantations et ces genres de voleurs meurent en voulant voler. Ces cas sont néanmoins particulièrement rares dans la société.
g- Les geumoh
Comme nous l’avons précisé plus haut, ce sont des personnes qui meurent et reviennent à la vie à volonté. Plus ils sont nombreux à avoir ce pouvoir, plus le taux de mortalité est élevé.
h- Les malédictions (ndoh)
La malédiction, généralement appelés ndoh est l’une des plus grandes causes de mortalité. Quand on ne fait pas certains rites, les malédictions s’accumulent. Quand un parent commet beaucoup de péchés de son vivant, ces péchés se transforment en malédictions et retombent sur ses enfants et sa famille. Quand elles ne sont pas expiées, ces malédictions s’accumulent et provoquent les morts dans la famille.
i- Le Ntchop[93]
Le Ntchop provoque surtout la mort des enfants. Quand un enfant est tué par le Ntchop, la mousse sort de ses narines à sa mort. Quand les oracles annoncent la présence du Ntchop dans la famille et l’endroit où il se trouve, les membres de la famille vont creuser cet endroit. Dès que cet endroit est creusé, le Ntchop ne peut plus agir. Quand le Ntchop tue un enfant et qu’on ne creuse pas, il continue de tuer les enfants dans la famille jusqu’à ce qu’on aille le creuser.
Chapitre 2 : Présentation des rites funéraires bamilékés
Le petit Larousse 2010 définit le rite comme un ensemble de règles et de cérémonies qui se pratiquent dans une communauté religieuse. C’est un acte, une cérémonie, une fête à caractère répétitif, destiné à réaffirmer les valeurs et à assurer la relance de l'organisation sociale. Funéraire fait allusion à tout ce qui est relatif aux funérailles, aux tombes, donc à la mort.
L'encyclopédie Universalis aborde le rite dans le domaine de l'impureté. Dans la vie, il y a des phénomènes naturels et sociaux qui ne sont pas conformes à des règles et à des modèles constants. Ces phénomènes sont parfois une menace à la cohésion sociale : adultère, meurtre, suicide, inceste. Ces phénomènes sont frappés d'interdiction qu'on appelle tabous. Si des individus commettent ces tabous, il faut des rites de purification pour les purifier. Certaines impuretés ne sont pas décelables et s'accumulent. Il y a donc des rites qui ont pour fonction de les éliminer globalement.
L'encyclopédie Alpha précise que la première fonction du rite est qu'il doit être répété selon des formes en principe invariables. Il s'adresse à des réalités non concrètes, invisibles. Ceci confère une valeur magique à chacun des éléments du rituel.
Pour Bronislaw Malinowski[94], le rite est une création de l'intelligence ayant pour finalité de pallier aux déficiences de l'homme. Les instincts n'étant pas régis par des règles biologiques comme chez les animaux, les rites deviennent des obligations édictées par la société sous forme d'actions stéréotypées ou d'interdictions qui viennent règlementer la conduite humaine et rendre la vie sociale possible.
Pour Hanus, le rite funéraire a pour fonction de rassurer. L’auteur met en évidence trois fonctions essentielles des rites funéraires :
1- accompagner le corps et l’esprit, l’âme du défunt durant ces périodes transitoires incertaines et périlleuses de la mort et de l’immédiat après-mort jusqu’au repos éternel ; 2- aider les survivants endeuillés, et surtout les proches, dans l’expression de leur douleur ; 3 - ressouder la cohésion sociale mise en cause par la disparition d’un de ses membres.[95]
Jean Pierre Albert continue dans le même sens en précisant :
Par la fête, les humains essaient d'apprivoiser la vie, de goûter des bons moments et de passer à travers les heures plus troubles. Refusant de s'enfermer dans l'infortune et la fatalité, mais incapables de se libérer du néfaste, ils tentent de conjurer le mal ou le contenir à l'intérieur de certaines limites grâce à des pratiques rituelles auxquelles ils attribuent des vertus de guérison et de salut. Ainsi, se sachant en proximité du mort et de la mort, par le truchement de gestes et de paroles, de musique et de chants, de danses et de mouvements, ils cherchent à les tenir à distance ou de s'en éloigner[96]
I- Les rites bamilékés pour éviter la mort
1- Le blindage
Le blindage est le fait pour les Nganfou de protéger un individu en augmentant sa force vitale et en l’épargnant des forces néfastes. Le blindage protège contre les Ngan lekan, les Ngan Sia, les menaces des Ndeu qui sont devenus mauvais et autres forces néfastes pouvant entrainer la mort des individus. Quand ce sont de simples menaces, la personne mâche le Ndeudeu ou le Souk et il fait son Koh Soh. Le blindage se fait de plusieurs manières en fonction des Nganfou. Généralement, celui qui veut se blinder apporte une chèvre ou une poule, les pièces d’argent jaunes, une somme d’argent demandée par le Nganfou. En fonction de son mal, le Nganfou peut lui demander d’acheter d’autres choses et d’apporter. Généralement ce sont des choses qui ont de la valeur symbolique dans la culture. Le Nganfou compose les herbes qui vont servir à son travail, prépare certains ingrédients. Il écrase certaines herbes et les fait lécher par le patient. Il demande au patient de cracher dans la bouche de l’animal ou de la poule. Le patient se met nu dans un endroit où les autres ne le voient pas. Certains patients préfèrent porter leurs sous-vêtements. Le nganfou égorge l’animal et met un peu de sang sur celui qu’il blinde. Celui qu’on blinde doit arrêter l’animal pour que le nganfou l’égorge. Si c’est la poule, il doit tenir la tête pour qu’on la coupe. Si c’est la chèvre, il doit l’arrêter pour qu’on l’égorge. Une fois que la poule ou la chèvre est morte, s’il s’agit d’une chèvre, le nganfou le dépose plusieurs fois sur la tête de celui qu’il blinde en demandant aux ancêtres et aux demi-dieux de le protéger et de combattre pour lui. Il fait bouillir des herbes et lave le patient avec le jus de ces herbes. Il prend la lame et fait de petites scarifications sur le patient, généralement aux endroits par lesquels les sorciers peuvent facilement l’atteindre. Il s’agit du front (juste où les cheveux commencent), de la nuque, des deux côtés des épaules et de la poitrine, entre l’épaule et le bras (des deux côtés), sur les deux reins, au dos juste avant le début des fesses, à la fin du bras des deux côtés (juste avant le début de la main), au bas ventre, (juste au-dessus du sexe), avant les genoux et aux deux pieds. Il fait généralement 9 scarifications par endroit, parfois plus. Quand il finit de faire des scarifications, il prend un mélange d’herbe qu’il a écrasé et la frotte sur les blessures des scarifications. Après cela, celui qui se blinde se rhabille. Le nganfou brule l’encens et d’autres herbes que le patient respire. Il braise la chèvre, retire sa peau amère et la fait manger par celui qui se blinde. Il donne certains remèdes à celui qu’il blinde et lui demande de partir sans regarder se s’habiller dans l’autre pièce. Généralement, le patient qui vient de se blinder doit faire trois jours ou une semaine avant de se laver. Il peut juste se nettoyer.
En plus du blindage, les nganfou ramassent aussi les objets que les mauvaises personnes mettent dans les corps. Pour bloquer les chances de leurs victimes ou chercher à les tuer à petit feu, les sorciers mettent des cailloux, des cuillères et autres objets dans le corps de leur hôte. Généralement cet hôte sent la fatigue sans savoir pourquoi. Il est malade et à l’hôpital on ne détecte pas de maladie. Quand il va chez le nganga et il lui informe de ce fait et le renvoie chez le nganfou, ce dernier ramasse ces objets. Il n’a rien en main, il passe sa main à un endroit et sort une cuillère ou un caillou et le montre au patient.
2- Le lavage de la malchance
Le processus est assez similaire à celui du blindage. Ici, le patient vient avec une poule. La nganga prend la poule et cherche des herbes pour le travail. Elle fait cuire les herbes, chante, danse en invoquant Dieu Si. Elle demande au patient de se déshabiller et de s’accroupir. Comme le blindage, le patient peut porter ses sous-vêtements. Elle fait passer plusieurs fois la poule autour de la tête du patient, puis elle jette la poule au sol. Cette poule n’est pour personne. Elle peut aller n’importe où et personne ne peut la réclamer. Si elle arrive chez une personne et y reste, elle devient pour la personne. La nganga lave le patient avec les herbes qu’elle a préparées et lui dit de partir dans l’autre pièce de la maison s’habiller sans se retourner. En fonction des sollicitations de la personne et de ce que leur demande de faire le Dieu Si, les nganga peuvent casser un ou plusieurs œufs sur la tête du patient. Ceci se fait généralement dans les cas où la malchance ou la malédiction est très grande. La poule de lavage ne peut pas être tuée lors du rite. Parfois ce lavage se fait très tôt le matin sur une route, en fonction des situations et de la malchance ou malédiction à laver. On laisse sur cette route quelques pièces d’argent jaunes. La première personne à y passer porte la malchance qu’on vient de laver.
3- Koh zoh
Koh Zoh c’est jurer, c’est en quelque sorte prier. Dans le koh zoh, ce qu’on met en évidence c’est son innocence. Quand une personne est menacée, elle fait souvent ce rite. Cette personne frotte plusieurs fois son index droit sur son index gauche, du sens de la main vers les doigts en prononçant des paroles d’innocence. Ces paroles sont souvent les suivantes : « Je ne connais rien, je ne suis d’aucune secte néfaste, je ne possède pas de pouvoirs maléfiques, je ne dois rien à personne, je n’ai jamais été jaloux de quelqu’un… » Après ces paroles de début, la personne pose son inquiétude. S’il s’agit d’une attaque de personnes maléfiques sur son enfant, il peut poursuivre comme suit : « Si c’est quelqu’un qui menace mon enfant, que la personne ne dorme pas. Ancêtres (il appelle leurs noms), demi-dieux (il appelle leurs noms), ne lui permettez pas de dormir, ne lui permettez pas de fermer l’œil tant qu’il n’a pas libéré mon enfant… » Le Koh Zoh finit souvent avec sa propre sanction. Dans le cas de notre exemple, il peut finir par ces paroles : « Et si c’est moi qui menace mon enfant, ancêtres, demi-dieux, faites de moi ce qui vous plaira ». Parfois ceux qui ont perdu les membres de leurs familles et trouvent que cette mort a été provoquée font ce rite pour demander aux ancêtres de rétablir la justice en frappant celui qui a provoqué cette mort. Il y a une expression bamiléké qui dit que « Zoh Ndeun ndeun tok lekan » (Un juron vrai dépasse la sorcellerie). Cette expression signale la puissance d’un Koh Zoh vrai qui dépasse toutes les forces maléfiques de la nature.
II- Les rites funéraires quand la mort survient
1- L’agonie et l’arrangement du défunt
L’agonie est la phase qui précède directement la mort. Au cours de cette phase, le mourant annonce de manière détaillée son testament. Au cours de sa vie, se sentant vieux, les bamilékés annoncent souvent leur testament verbalement à leurs amis. Mais les hommes étant divers et ondoyants, certains utilisent ce testament pour leur faire pression ou pour déstabiliser leur famille. La succession étant très importante chez les bamilékés. La plupart des bamilékés préfèrent annoncer leur testament dans leur période d’agonie. Il arrive souvent que certains, secoués par des chocs ou la maladie, se croient en train de mourir, annoncent leur testament et survivent après. Une fois la mort survenue, celui qui se trouve auprès du défunt doit l’arranger.[97] Il s’agit de fermer ses yeux s’ils sont ouverts, de fermer sa bouche si elle est ouverte, de le coucher sur le dos, en position verticale.
2- L’annonce de la mort
L’annonce de la perte d’un être cher chez les bamilékés demande des gestes spécifiques afin d’atténuer la douleur et éviter des chocs que peuvent engendrer une telle annonce. Surtout dans les situations où la mort a été brusque. Quand la mort survient suite à une longue maladie, la situation est différente, puisque les membres de la famille ont pris le temps pour accepter l’éventualité d’un décès. Jean Pierre Albert précise que « même si la crainte de la mort a toujours existé, elle est difficilement acceptable. Son annonce implique un certain regard, un discours [98]», une manière de la gérer. En fait, il faut des attitudes pour l’annonce d’un décès. Jean-Pierre Albert poursuit :
Annoncer la mort d’un proche n’est jamais chose facile, qu’il y ait ou non présence du cadavre. Quand on est sûr de l’information (sur la base de plusieurs témoignages concordants ou d’un rapport officiel), mais que la dépouille ne peut être présentée, la mission est encore plus délicate. Tant que le cadavre n’est pas retrouvé, il restera toujours à la famille un infime espoir que l’information soit fausse. Dans ce cas, la nouvelle risque de ne pas être acceptée.[99]
Pour annoncer le deuil chez les bamilékés, il faut exprimer sa douleur, se rouler par terre, pleurer, crier. Dès l’écoute de ces cris, les voisins accourent demander qui est mort. Dès qu’ils sont au courant de la nouvelle, ils engagent eux aussi les pleurs. Cette attitude permet à celui qui reçoit l’annonce de comprendre qu’il n’est pas seul dans cette épreuve, ce qui le console. On évite des gestes de fierté qui pourraient montrer qu’on ne ressent pas assez la douleur générée par la mort. Les premières personnes à être informés sont les hommes de la famille qui supportent plus la triste nouvelle que les femmes.
Chez les plus proches du défunt, en occurrence sa mère ou sa femme, on évite d’annoncer la nouvelle de manière brusque. On prend du temps pour les préparer psychologiquement à accepter la nouvelle. Il y a dans la culture bamiléké des proverbes relatifs à l’annonce du deuil. Si la mère du défunt peut encore faire d’enfants, on peut lui dire ce proverbe : « Quand une femme va à l’eau puiser l’eau avec la calebasse et qu’elle glisse et tombe, c’est mieux que la calebasse se casse au lieu qu’elle perde son pied. Parce qu’elle pourra encore retourner à l’eau avec une autre calebasse. » Ce proverbe vient après un long moment de préparation, et ce proverbe apprête l’annonce de la triste nouvelle. Avant d’informer la mère ou la femme du défunt, on s’arrange à les faire sortir de leurs maisons. Une fois hors de leurs domiciles, les voisins informés nettoient leurs maisons, font la cuisine. Les garçons du quartier puisent de l’eau en quantité suffisante. Si elles refusent de sortir de leurs maisons, elles y restent tandis que les voisins nettoient la maison. Quand on leur annonce la mort, au moins 2 autres femmes doivent être présentes pour les arrêter. Quand elles reçoivent la nouvelle, elles s’enroulent au sol, les autres femmes les arrêtent. Dès l’annonce du décès à la mère ou à la femme du défunt, les femmes lancent des cris et commencent à pleurer pour informer les autres membres de la communauté. Les hommes lancent aussi les cris pour pleurer. Cette période dure quelques minutes. Les membres de la communauté arrivent pour savoir qui est mort. La nouvelle se répand rapidement de bouche à oreille. Dès lors, la mère et la femme du défunt ne peuvent plus être laissées seules.
Quand il s’agit de la mort du chef qui est le représentant de Dieu sur la terre, on ne dit pas qu’il est mort. On dit qu’il est parti ou que le baobab est tombé. Généralement on tape le tamtam avec le son qui annonce que le chef n’est plus pour informer la communauté. Ce son se relais à travers la communauté pour annoncer la triste nouvelle.
3- Le deuil
C’est une obligation pour un bamiléké de participer au deuil de ses parents, de ses grands-parents et de sa famille proche, par crainte d’apporter la malédiction sur ses enfants et sur lui-même. La plus grande punition qu’un parent bamiléké puisse donner à son enfant, à part la malédiction, est de l’empêcher de venir à son deuil quand il sera mort. Pour expier la malédiction générée par le fait qu’on n’ait pas assisté au deuil de son proche dans la famille, les ancêtres imposent au concerné d’organiser seul le deuil pour pleurer ce membre de la famille, ce qui lui fait plus de dépense en temps, en argent et en énergie. Il doit appeler les gens qui vont pleurer avec lui, les nourrir, faire à lui seul toutes les cérémonies du deuil.
On ne célèbre pas le deuil d’un enfant comme celui d’un chef. Mathias Lonchel[100] précise que « le deuil donne lieu à des cérémonies dont l’importance dépend de la personne disparue. » Les mort-nés n’ont pas droit au deuil. Dans ce cas précis, les membres de la communauté viennent consolider la famille endeuillée. Quand le défunt a des enfants déjà mariés, plusieurs éléments s’ajoutent au deuil.
A- La préparation du deuil
a- Les obligations des enfants
Les enfants doivent payer la cour de deuil. Il s’agit d’une somme décidée globalement pour accueillir les invités et assurer les autres dépenses. Cette somme peut être de 20 000 Frs CFA, 50 000, 200 000 par enfant ou plus en fonction de la personne morte, de la situation économique de la famille et de la sociabilité des enfants. Cette somme permet de nourrir ceux qui viennent au deuil, de payer la morgue, ceux qui vont planter le koup[101], et autres dépenses. Si la famille n’a pas de gendres, les enfants doivent cotiser pour payer le cercueil. Il faut préciser qu’ici intervient les réunions. Dans la plupart des réunions des bamilékés, il y a toujours une caisse secours pour soutenir des personnes en difficulté. Ces fonds la plupart de temps concerne les cas de deuil et de funérailles, surtout les deuils puisqu’ils sont brusques et demandent beaucoup d’argent. Certaines réunions précisent dans leurs statuts qu’en cas de perte du parent ou du fils de leur membre, le fond secours paie le cercueil. Quand les enfants endeuillés reçoivent ces fonds, généralement ils complètent juste pour faire le deuil. Les bamilékés se moquent de ceux qui n’ont pas bien fait le deuil de leurs parents. Ils disent qu’ils ont enterré leurs parents comme une poule morte.
b- Les obligations des gendres
Les gendres sont ceux qui ont épousé les filles du défunt. En fonction de leur nombre, la famille peut leur donner la charge de l’achat du cercueil. Au cas contraire, ils doivent contribuer à l’achat de ce cercueil. Généralement ils contribuent à hauteur de 15 000 F CFA[102]. Chaque gendre doit donner une poule et un pagne. Le pagne sert à envelopper le défunt. Le surplus est partagé aux veuves et aux orphelins pour les distinguer au cours du deuil. Une poule est donnée à ceux qui ont creusé la tombe du défunt. Cette poule est braisée et consommée à la cour du deuil. Les autres poules sont réservées aux autres cérémonies funéraires, comme la danse du Mendzong où il faut toujours donner un coq aux danseurs. Si le gendre n’avait pas donné toutes ces exigences à la mort du grand-père de sa femme, il doit doubler à la mort de son beau-père. Si le gendre n’était pas venu rendre visite à son beau-père quand il était malade avec du vin et de la nourriture, la famille peut décider qu’il donne cette nourriture avant qu’on puisse prendre ses obligations. Il doit alors donner la viande ou la couverture à la famille endeuillée. Si le gendre ne donne pas toutes ces obligations, il appelle la malchance et la malédiction sur lui, sa femme et ses enfants.
B- Le deuil proprement dit
Quand l’annonce du deuil est faite, les membres de la famille fixent une date pour de début du deuil. Le deuil dure généralement trois jours. A l’heure fixée pour le début du deuil, les femmes sortent et se mettent à pleurer en se dirigeant chez la première femme qui occupe le côté droit de la concession. Les hommes les suivent et se placent devant la grande concession. S’il y a des moyens, la famille fait venir une personne qui a le fusil de chasse pour tirer quelques 2 ou 3 balles en l’air et la famille se mobilise et engage les pleurs. Le deuil commence généralement à 6 heures du matin.
a- Le positionnement dans la cour du deuil
- Les hommes
Les hommes se placent devant la grande concession, en face du seuil de la concession. Le premier né se place à l’extrême droite, le second le suit et ainsi de suite. Derrière eux, leurs proches amis posent la main sur leurs épaules pour les soutenir. Les autres hommes se placent derrière eux.
- Les femmes
Les femmes occupent le côté droit de la cour. Elles se placent devant la concession de la première femme s’il y en a plusieurs. Dans l’architecture bamiléké, même si l’homme n’a pas l’intention d’épouser plusieurs femmes, la maison de la première femme est toujours à droite de la concession. Dans la conception bamiléké du mariage, l’homme et la femme ne dorment pas dans une même chambre, sauf s’ils veulent avoir des moments d’intimité. L’homme a sa maison et la femme a la sienne, mais les deux sont dans une même concession. L’homme reçoit ses invités chez lui et la femme reçoit les siennes chez elle. Lors du deuil, les femmes s’alignent en fonction de leur arrivée dans la concession. La plus ancienne est plus proche du seuil de la concession. Elles sont suivies des filles du défunt, puis de ses sœurs. Toutes les femmes de la concession, que ce soient celles du défunt ou de ses enfants sont considérées comme ses femmes et s’alignent du côté des femmes en fonction de leur arrivée dans la famille. Leurs amies proches sont derrière elles et les tiennent autour des reins.
A gauche de la cour du deuil, sont placés les grands dignitaires du village ou du quartier. Si le Chef vient au deuil, son siège est paré comme un trône, avec la tenue traditionnelle bamiléké appelée Ndop.
- La descente du Deuil
Pour les bamilékés comme nous l’avons précisé plus haut, il faut pleurer, hurler sa douleur pour montrer à l’assistance qu’on est touché par la disparition. Pour descendre le deuil, à distance, il faut commencer à pleurer pour que les femmes et les hommes qui étaient déjà assis se lèvent pour vous recevoir. Précisons ici qu’on ne pleure pas du matin au soir. Quand les gens ne viennent pas, les participants s’asseyent et discutent. Dès qu’une nouvelle personne arrive, tout le monde se lève pour pleurer avec lui. Quand celui qui veut descendre le deuil commence à pousser les cris, chacun reprend sa position.
Chez les bamilékés, quand il y a un deuil, chaque membre du quartier doit descendre le deuil. Parfois certains jeunes qui ont honte de descendre passent par le champ et se retrouvent à la cour du deuil. On les chasse et ils vont descendre le deuil. Plusieurs personnes peuvent descendre au même moment. Quand les hommes et les femmes descendent au même moment, quand ils arrivent à la cour, les hommes attendent qu’on reçoive d’abord les femmes du groupe. Les femmes descendent en pleurant et en prononçant des paroles de désolation. Elles vont saluer les femmes et parfois les hommes et retournent du côté des femmes. Quand elles y retournent, les femmes tournent le dos à la cour pour les recevoir. Quand elles sont déjà reçues, les femmes se tournent vers la cour pour recevoir les hommes qui étaient en attente. Les hommes descendent à leur tour. Ils peuvent choisir d’aller saluer les femmes ou de descendre directement trouver les autres hommes. Le deuil se descend à pas rythmé avec la cadence du deuil. Les hommes peuvent descendre en prononçant des cris de détresse ou juste en lançant les mains pour montrer leur désespoir.
Une descente de deuil© Etonleu Laure Pélagie
Quelques femmes, après la descente du deuil, vont se ranger du côté des femmes © Etonleu Laure Pélagie
Un groupe d’homme qui descend le deuil salue les femmes © Etonleu Laure Pélagie
Pour pleurer, il y a une femme qui rythme le deuil avec les pleurs, elle lance des mots de détresse en pleurant et l’assistance répond en chœur en faisant des gestes synchronisés. On ne marque pas les pas, mais l’assistance se penche ensemble doucement d’un côté, puis de l’autre pour synchroniser leur mouvement. C’est une sorte de danse de détresse. Même dans la détresse, les bamilékés dansent et chantent en pleurant pour mieux exprimer leur détresse. Parfois la famille déplace un professionnel pour rythmer le deuil. Les chants de détresses mettent presque tous les participants dans l’attitude du deuil. Même sans le vouloir, ils sont tellement touchés par la mélodie funeste qu’ils se retrouvent en train de couler les larmes. Les phrases prononcées sont souvent les suivantes. Mais il faut préciser que chaque personne qui rythme le deuil trouve ses propres mots pour le faire et pour mieux toucher la sensibilité de l’assistance. Celui ou celle qui rythme le deuil dit généralement ces paroles en pleurant. A chaque fois qu’il prononce une phrase, l’assistance répond en pleurant et en chœur : « Ehhééééé, éhhéhéhé éhéhéhéh hm hm ». Voici ses phrases. Nous les avons séparés par les points de suspension, le temps que l’assistance lui répond pour qu’elle continue : « (il appelle le nom du défunt) est parti où ehh ehh… (elle appelle le nom d’un membre de la famille) ne le verra plus éhh… (elle appelle le nom du défunt) mangera quoi ?... Que c’est vrai qu’il ne se lèvera plus jamais ? … Il laisse les orphelins à qui ? … Il laisse sa veuve à qui ? … c’est vrai qu’il ne me donnera plus les pommes de terre comme il le faisait ?... C’est même la mort de quoi ? .... Qui a même apporté cette mort dans notre communauté ?... Il ne nous fera plus rire avec ses blagues… Il ne nous aidera plus à construire notre communauté… » Comme nous l’avons précisé plus haut, ce modèle n’est pas standard. Chaque rythmeur de deuil sait les mots qu’il va utiliser pour le faire.
Au deuil, on pose certains effets personnels du défunt sur une table au milieu de la cour. Parfois, les femmes ou les enfants filles de la concession se détachent accompagnées de celles qui les soutiennent et vont prendre quelques outils du défunt, pleurent en rentrant et reviennent déposer sur la table.
La nourriture du deuil est généralement le mais bouilli aux arachides. Tandis qu’on fait le deuil, certaines femmes cuisinent pour nourrir ceux qui pleurent. Le second jour du deuil, les lamentations s’arrêtent généralement à 12h30 et une délégation va à la morgue chercher le corps s’il y avait été mis. Pour ceux qui ne mettent pas le corps à la morgue, le deuil dure 2 jours. Pour les morts tragiques et les corps en décomposition, on enterre le jour même. Dans ce cas, on dit qu’on met le corps à la morgue traditionnelle. Pour ceux qui ont mis le corps à la morgue, le deuil dure trois jours. Le deuxième jour, le corps passe nuit dans la concession du défunt pour la dernière fois. La nuit, on veille autour du corps en chantant. Les familles qui ont les moyens font venir la fanfare qui anime la veillée mortuaire.
Le troisième jour c’est l’enterrement. Chez les bamilékés, on n’enterre pas à 12h. Si avant cette heure l’enterrement n’a pas encore été fait, c’est à partir de 13 heures qu’il se fera. Les bamilékés pensent qu’à 12 heures du matin comme du soir, il y a une forte concentration spirituelle et on ne peut pas enterrer un corps à cette heure. On n’enterre également pas dans la nuit. Le matin de ce troisième jour, les enfants s’habillent en tenues traditionnels avec chacun une queue de cheval[103] parée.
La descente de deuil d’une société secrète bamiléké auteur inconnu
4- L’autopsie
Comme nous l’avons précisé au premier chapitre de ce travail, il n’y a presque pas de mort naturelle chez les bamilékés. Il y a presque toujours une force surnaturelle, un ennemi qui a causé la mort. C’est ce qui justifie la pratique de l’autopsie. Les spécialistes de ce rite détectent la cause du décès et en informent la famille. Pinghane Yonta Achille[104] dans son mémoire de DEA dégage le but et les objectifs de l’autopsie traditionnelle bamiléké :
L’autopsie a pour fonction première de rechercher la cause de la mort. Les familles voudraient savoir l’origine de la mort et plus précisément l’agent malfaiteur en cas de mauvaise mort[105]. Cet exercice permet de rassurer les vivants sur la nature de la mort, et surtout leur permet de savoir si un membre de la famille ou une personne quelconque serait à l’origine du décès (existe-t-il un sorcier au sein du groupe familial ?), ou encore si le défunt ne disposait pas d’une force maléfique. Si tel est le cas, l’autopsie révèle le nombre de personnes que le défunt a déjà tué, et ceux qui seraient sur sa prochaine « liste ». Pour ces derniers, si rien n’est fait, ils n’échapperaient point à la mort
Gabriel Fossi va dans le même sens en écrivant : « La mort introduit dans la communauté un malheur qui provoque toutes sortes de drames, et qui peut revenir et se développer si l’on reste passif face à elle. C’est pourquoi les Bamiléké recherchent les causes de la mort pour la conjurer, afin qu’elle ne continue pas à nuire aux vivants. C’est la raison d’être de l’autopsie[106] » On fait généralement l’autopsie à la demande de la famille éprouvée.
Pour réussir sa mission d’évangélisation en terre bamiléké, le Révérend père Benjamin Noumba Mbock[107] entreprend d’étudier les éléments des rites bamilékés pour mieux les comprendre et les détruire. S’agissant de l’autopsie traditionnelle, il écrit :
Le phénomène d’autopsie apparaît comme une science de la médicine moderne, surtout en rapport avec la criminologie et vise à établir les causes et les circonstances de la mort d’un individu. Les africains avaient déjà exploré cette science depuis des siècles, cette fois avec un fond mystico-religieux. Selon la vision du monde de l’africain, chaque mort a une cause mystique. On meurt à cause de la sorcellerie, de la magie ou lorsqu’on brise un interdit…Il faut rechercher les causes exactes de sa mort sinon beaucoup d’autres membres de la famille risquent mourir de la même façon et ceci causerait une très grande perte à la famille[108].
Sachant que les bamilékés descendent de l’Egypte pharaonique et que leur religion n’est qu’une tendance de l’Amonisme, nous y trouvons d’autres raisons de la pratique de l’autopsie. La mort d’Osiris a été causée par son frère Seth, ce qui a poussé les égyptiens et toutes les civilisations amonistes à considérer que la mort est presque toujours provoquée. L’autopsie proprement dite consiste à opérer le cadavre et d’interpréter les signes qu’on trouve dans son ventre. Le révérend père Benjamin Noumba Mbock poursuit et soulève quelques interprétations lors de l’autopsie traditionnelle bamiléké :
- La présence des blessures fraîches sur le cœur, le foie, les reins ou sur les poumons signifie que le défunt a été « mangé » par le « dim[109] » ;
- L’absence de la vessie signifie que le défunt a été « emporté » dans le « chia[110] » ou le « fumla[111]» ;
- La présence d’une mare de sang dans le ventre traduit l’animal totem tué[112] ;
- Le foie présente-t-il des dessins, des figures ou des signes bizarres ? Le défunt est lui-même cause de sa mort ;
- La présence de la chair dans l’œsophage traduit un défunt « dim », capturé alors qu’il sortait pour nuire ;
-Le cœur qui « bat » encore et saigne longtemps après l’autopsie révèle que le défunt était un sorcier, ceux qu’il avait programmé de tuer ne sont pas encore tous morts
Quand l’autopsie révèle que la mort a été provoquée, les familles parfois mettent une machette entre les mains du défunt ou un cochon d’Inde dans son ventre ou autres signes allant dans ce sens, lui demandant de se venger et de frapper celui qui a provoqué sa mort dans le monde des vivants. Dans l’Amonisme et son socle d’Egypte pharaonique, le défunt se transforme en un homme-faucon[113]. Il ne voit pas sa mort comme un phénomène naturel et biologique, mais comme l'action d'un ennemi. La mort d’Osiris a été une action malveillante de Seth. Le défunt est en colère et cherche à se venger de celui qui a provoqué cette mort. Mais il doit d'abord traduire son ennemi devant le tribunal d'Osiris.
Je suis un être humain qui est venu mécontent (du monde des vivants). Que l'on m'ouvre dans le tribunal à cause du tort qui m'a été fait par mes ennemis ! (...) Je suis maintenant un homme-faucon, qui s'en va en homme, (...) pour atteindre mon ennemi parmi les hommes. Ayant comparu contre lui devant le tribunal du Chef des Occidentaux (Osiris), j'avais passé toute une nuit à débattre avec lui en présence de ses habitants de l'empire des morts ; son avocat dans le tribunal s'est alors levé, ses mains devant son visage, quand il a vu que j'étais proclamé juste et qu'on accordait que j'aie pouvoir sur mon vil ennemi et que je le saisisse en présence des hommes qui étaient venus se battre avec moi au moyen de la puissance magique de leurs paroles.[114]
La vengeance du défunt ne se limite pas à son ennemi. Tous ceux qui se sont alliés à lui pour provoquer la mort doivent subir la juste colère de la victime. Même ceux qui essaieraient d’empêcher à la victime de punir son bourreau subiront sa juste colère. Cette punition collective est approuvée par Osiris : « Ils auront à pâtir, ceux présents ou à venir qui viendraient à combattre contre toi et qui tenteraient de t'enlever ton pouvoir sur ton ennemi ; te voici un homme-faucon. »[115]
5- La cérémonie d’adieu
L’autopsie et la cérémonie d’adieu ont lieu le jour de l’enterrement. Au cas où il y a autopsie, la cérémonie d’adieu suit l’autopsie. Au cas contraire, les enfants procèdent directement à la cérémonie d’adieu dans la maison du défunt. Le cercueil est déposé sur une table au domicile du défunt. Chaque enfant passe et lui dit des paroles d’adieu. Mathias Lonchel précise :
Les paroles d’adieu dépendent non seulement des rapports antérieurs avec le défunt, mais aussi du genre de mort. C’est ainsi qu’en cas de mort suspecte, non seulement chacun plaide son innocence, mais aussi il sollicite de Dieu une sanction contre l’éventuel coupable… L’on demande également d’intercéder auprès de Dieu pour la protection de la famille… C’est aussi le moyen pour certain de demander, en signe de réconciliation, pardon au défunt, ou de lui pardonner ses torts[116].
On demande aussi au défunt de préparer une bonne place au monde des ancêtres, on lui demande de saluer les membres de la famille disparus et de leur demander leur protection. Si le défunt a atteint l’âge de se marier et n’a pas laissé d’enfant, un caillou est mis sur sa paume de main, pour signifier que son crâne ne sera pas vénéré. Parfois, au lieu du caillou, on met un tronc de bananier coupé dans son cercueil.
Après cette première phase, le cercueil est conduit à la cour du deuil et exposé avec quelques vêtements et quelques objets personnels du défunt. S’il était agriculteur, on dépose la pioche, daba et autres. Le deuil continue quelques moments. Les femmes en pleurant prennent ces objets et se passent entre elles. Après ce petit deuil, vient les discours d’adieu. Le premier fils, s’il est assez grand, doit prendre la parole. La première fille aussi, si elle est grande, doit également le faire. En plus d’eux, la famille peut choisir d’autres personnes pour faire les discours d’adieu. Les membres de la famille, enfants, cousins, petits fils et autres prennent chacun une feuille d’arbre de paix et défilent en fonction d’âge pour la déposer dans le cercueil. Certains membres de la communauté viennent aussi jeter leur feuille d’arbre de paix pour dire adieu au défunt et lui souhaiter la paix dans le monde des ancêtres.
Cérémonie d’adieu, les femmes prennent quelques vêtements du défunt et se passent entre elles en pleurant © Etonleu Laure Pélagie
6- L’enterrement
Après la cérémonie d’adieu, les enfants du défunt et leurs proches portent le défunt à la tombe. Quand on descend le cercueil dans la tombe, ils lancent les premières poignées de terre et ceux qui sont chargés d’enterrer font leur travail. Les bamilékés sont enterrés dans leurs maisons. Au cas où ils n’ont pas de maison, ils sont enterrés sur leur lot[117]. L’enterrement d’un bamiléké qui n’a pas de terre au village est souvent très difficile parce qu’on ne sait où le faire. Si aucun membre de sa famille n’accepte lui céder une petite terre sur son terrain, on l’enterre derrière la maison de sa mère, et c’est une très grande honte pour lui. C’est pour cette raison que l’une des priorités des bamilékés dans la vie est souvent d’acheter un terrain au village, aussi petit soit-il, pour pouvoir y reposer au cas où la mort les surprendrait. C’est aussi peut-être ce qui justifie l’attachement des bamilékés à l’achat des terrains partout où ils passent. Les femmes sont enterrées chez leurs maris ou sur le terrain de leurs maris. Elles ne peuvent être enterrées sur leurs propres terrains ou chez leurs parents qu’au cas où elles sont divorcées. Lors de l’enterrement, les pieds sont généralement orientés vers la cour de la concession. Ceci pour que le défunt qui a acquis le titre d’ancêtre puisse mieux protéger la concession et empêcher aux mauvaises personnes de venir faire du mal à la famille.
7- La succession
Après l’enterrement, tous les membres de la famille ainsi que les plus proches du défunt se réunissent dans la maison du défunt pour sa succession. Il faut préciser que cette succession peut être renvoyée si on se rend compte qu’elle peut créer des problèmes au sein de la famille. Ceci tient à l’importance de la succession chez les bamilékés. Comme nous l’avons précisé au premier chapitre de ce travail, le successeur jouit au sein de la famille des mêmes droits que son défunt père. Il perd son nom au profit de celui du défunt et prend directement sa place dans la hiérarchie sociale. Quand il y a dot d’une fille de la famille, c’est lui qui perçoit la dot en tant que successeur du défunt. S’il y a des filles dans la famille dont les maris n’ont pas encore versé la dot, c’est désormais à lui que revient cette dot. Il devient le mari des femmes de son père, sauf sa mère. Mais aussi s’il y a des rites dans la famille de sa mère qui demandent la présence du mari de sa mère, en tant que successeur de son père, il participe à ces rites et paie si possible ce que son défunt père devait payer. Le successeur aussi peut faire partir du Mendzong de son père. Si son père était dans les organisations de la société, il peut l’y remplacer et y occuper le rang qu’il occupait. Ses frères deviennent ses enfants. Ces frères l’appellent papa. Si un enfant a quelque chose à donner à son père, c’est désormais à lui qu’on donne.
Dans le partage des biens du défunt, le successeur reçoit la maison familiale avec les meubles qui s’y trouvent. C’est pour cela qu’on l’appelle Ndjeun nguia[118] chez les yemba. Bien que la maison soit la sienne, elle reste la maison familiale. Il ne peut empêcher à un enfant d’y avoir accès qu’après de graves actes de mauvais comportement. Le successeur perçoit aussi les perdîmes des lots. Chez les bamilékés, pour avoir son lot, l’enfant nourrit les femmes de la concession. Il leur paye l’huile de palme et donne une modeste somme de dédommagement à son père. Si de son vivant le défunt n’a pas reçu ce dédommagement, c’est à son successeur de le recevoir. Le successeur règle les litiges entre les membres de la famille. Pour cela, il doit être impartial comme son défunt père, même si le problème concerne sa mère biologique. Il doit encadrer et entretenir les enfants. Il doit payer la scolarité des plus jeunes enfants et s’occuper d’eux exactement comme leur père qu’il est devenu. S’il y a une veuve dont la dot n’a pas été payée, c’est désormais à lui de le faire. Si le défunt a laissé de l’argent en banque, il prend cet argent pour mieux s’occuper de la famille. S’il y a deuil dans les familles des veuves, il doit payer la cour en tant que mari de la veuve. Dans la famille de sa mère, il agit en même temps comme le gendre et comme le petit-fils. Mais sa position de gendre l’emporte sur celle du petit-fils. Il doit mobiliser la famille pour la paie de la dot de chacun de ses frères devenus ses fils. Si une de ses sœurs devenues ses filles rompt le mariage, il doit rembourser sa dot. Il a le devoir d’assister chaque membre de la famille en cas de bonheur ou de malheur. Nous avons déjà souligné son rôle d’intermédiaire avec les ancêtres au premier chapitre de ce document. Le pouvoir du chef dans la famille est tempéré par ceux du premier fils qui prend le nom de Sob et de la première fille qui porte le nom de Sob Mindzu. Il doit les contacter pour prendre des décisions relatives à la famille.
La cérémonie de succession se passe comme suit : Réunis chez le défunt, on lit le testament s’il y en a, ou bien ceux à qui le défunt avait confié verbalement son testament témoignent. Si les propos concordent, alors il n’y a pas de problème. Il y a généralement des problèmes quand les propos ne concordent pas. Au cas où le défunt n’a pas choisi un successeur pour des circonstances diverses : Mort par accident, mort prématurée, mort subite ou bien qu’il ne voyait pas en ses enfants qui choisir pour le succéder, la famille, les oncles, tantes et autres dignitaires de la grande famille se réunissent pour le faire. Généralement on choisit celui qui était le plus proche du défunt, qui le remplaçait dans ses réunions, qui l’accompagnait le plus dans ses déplacements. Certains points de la culture bamiléké sont connus d’avance. Le premier né ne peut pas succéder. Il doit accompagner le successeur dans la gestion de la famille. Il ne peut succéder que s’il est le seul garçon de la concession, ou que les autres garçons, pour des raisons de mentalité ou de maladie, ne peuvent pas bien gérer la famille. Chez les bamilékés, les pères considèrent leur premier fils comme leur second. Ce sont eux qui l’aident à éduquer et discipliner les autres enfants. Leur donner la succession serait un cumul d’influence qui peut se révéler nocif pour la famille. Si le successeur refuse d’officier certains rites, le premier né a le pouvoir de le faire. Les filles également ne succèdent pas à leurs pères, sauf si ce dernier n’a pas de garçons, où que le parent a banni ses fils de sa concession pour mauvais comportement. Dans ce cas, sa fille peut lui succéder. Ceci tient au fait que quand les filles se marient, elles vont chez leurs maris. Elles ne peuvent pas assurer valablement la gestion de la famille étant loin d’elle. En plus, les filles deviennent les membres de la famille de leurs maris. Cette situation fait qu’elles ne peuvent pas valablement organiser leurs familles et y jouer le rôle du père. Généralement les derniers nés succèdent aux femmes, qu’ils soient hommes ou femmes. Pour ceux qui sont morts sans enfants, on les choisi des successeurs dans la famille pour gérer leurs biens s’ils en avaient. Mais ce titre est symbolique puisqu’ils n’ont pas d’enfants à gérer. Avant on ne retirait pas les crânes de ceux qui sont morts sans enfants, on ne leur trouvait pas de successeur. Mais leur colère était très grande. Ce qui a obligé les bamilékés à leur trouver des successeurs pour apaiser leur colère. C’est aussi une manière de leur rendre hommage, puisque de leur vivant ils aimaient et élevaient les autres membres de la famille.
Lors de la cérémonie de succession, le choix du successeur vient généralement en dernière position. Il y a d’abord le partage des biens du défunt entre ses enfants et les autres membres de la famille si le défunt leur avait cédé certains de ses biens. Généralement quand un parent élève un enfant, il le considère comme son propre enfant et en partageant ses biens, il donne sa part. Lors de la cérémonie de succession, ceux envers qui le défunt était endetté viennent réclamer leurs dettes. Dans ce cas, la famille s’organise pour payer les dettes du défunt.
8- La descente du Mendzong du défunt et l’arrestation de son successeur
Quand le choix du successeur est fait, on attache les tissus blancs autour des reins des femmes et autour du cou des enfants. On place une chaise à la véranda de la maison centrale et on demande à ceux qui animent le deuil de reprendre leur travail. Le deuil reprend. Les femmes sont les premières à sortir, portant sur leurs têtes des plateaux, seaux et autres ustensiles ménagers. Les enfants les suivent. Le groupe contourne la cour du deuil en pleurant quelques instants. Ils rythment leur sortie à la cadence des instruments. Le groupe contourne le Koup plusieurs fois. Quelques temps après, le rythme des instruments change et devient plus rapide, annonçant la descente du Mendzong du défunt qui a pris soin de planter le plantain au milieu de la cour. C’est ce plantain que nous avons appelé Koup. Le Mendzong est en même temps une danse et une organisation sociale et guerrière qui réunit les gens de même tranche d’âge. Quand quelqu’un d’une tranche d’âge meurt, ses amis du Mendzong doivent prester après son enterrement. S’il ne fait pas partir du Mendzong, ses amis de même tranche d’âge peuvent constituer un Mendzong pour rythmer cette cérémonie. Au cas où ils ne parviennent pas, cette cérémonie n’aura pas lieu. Si le défunt était un dignitaire du village, le Kougang vient planter un rejeton de plantain. Ce rejeton pousse au même moment et les membres de cette danse mystique en consomment les fruits au même moment. Ils jettent des peaux au sol, ces peaux disparaissent par miracle et ils repartent après leur prestation. Les autres dansent mystiques comme celui des Dzui Thieu peuvent aussi prester. Ces derniers courent sur les toitures des maisons, portent de longs bâtons pour allonger leurs pieds. Au cas où le défunt est un modeste citoyen du village, le groupe qui sort de la maison de succession continue de contourner le régime de plantain mis sur place par le Mendzong. Tout autour du régime, il y a des tamtams, des balafons et autres instruments de musique pour rythmer la cérémonie et les danses. Quand la descente du Mendzong est annoncée, le rythme devient joyeux, les pleurs cessent. Le Mendzong étant une danse guerrière, on danse de manière brute, avec des épées, paré avec des tenues traditionnelles spécifiques. Quand le Mendzong descend, les autres membres de la famille entrent dans les rangs du Mendzong et dansent aussi. Après quelques minutes de danse, les membres du Mendzong portent le successeur et le lèvent en triomphe pour le présenter à l’assistance. Ils contournent la cour plusieurs fois avec lui, devant les cris de joie de l’assistance. Quand ils arrivent devant un groupe pour le présenter, les gens présents à cet endroit crient plus fort pour exprimer leur joie de voir le défunt ressuscité en son successeur. Après cela, le Mendzong va déposer le successeur sur le siège conçu pour lui et retournent prester à la cour, puis, se retire de la cour pour laisser la place à d’autres danses qui se succèdent à la cour. Les autres membres de la famille passent tour à tour salu