Et si c’est la couleur blanche qui était la couleur de Malheur ?

Blog Single

« Je suis la couleur de la douleur et de la tristesse », voici ce que j’ai lu dans le cahier d’un ainé quand j’étais en Cinquième. Cette phrase m’a particulièrement marqué et je l’ai réécris dans tous mes cahiers, et même aussi dans mes livres. Depuis l’école primaire jusqu’en Terminale, mes différents enseignants m’ont tour à tour enseigné que la couleur noire est la couleur du malheur, du négatif. Dans toutes les galeries d’art où je suis passé, la même réalité était enseignée encore et encore. Des artistes, pour peindre la douleur, le malheur et le mauvais, utilisent la couleur noire. Dans les films, c’est la même réalité, le mal est en noir. L’église et l’islam ne sont pas en reste. Ils enseignent que le diable et ses démons sont noirs tandis que Dieu et ses anges sont blancs. Grandi dans cet état d’esprit, j’ai fini par accepter cette réalité. Je suis la couleur de la douleur et du mal. Pratiquement tous ceux qui ont été à l’école ont accepté et intériorisé cette même réalité. Guidés par elles, les compatriotes africains ont inventé des jurons allant dans ce sens pour insulter leurs ennemis. On entend constamment des noirs s’insulter entre eux en de termes suivants: « Tu as le cœur noir », pour affirmer que l’ennemi est jaloux. Ou encore « Tu es noir comme le diable », « Dieu t’a créé quand il était déjà fatigué et tu as noirci ». Nos comédiens africains ont également entériné cette réalité. Il n’y a presque pas de soirée comique où les comédiens noirs ne déprécient pas leur race. Dans les réseaux sociaux, partout, nos frères noirs sont très fiers de discréditer leur race. Une comédie dans les réseaux sociaux montre un homme qui appelle de l’enfer et il est facturé en fonction des pays de destination de l’appel. Quand il s’agit de l’Afrique, on ne lui facture rien, lui faisant comprendre qu’il appelle de l’enfer à l’enfer. Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Quand un blanc est présent devant la plupart des noirs, la dépréciation de notre race par nos frères prend de l’ampleur. Ils le font pour faire plaisir au blanc présent, parce qu’ils croient que sa race est celle du bonheur. La même chose se produit quand un blanc arrive en Afrique. Il attire généralement beaucoup nos sœurs qui voient en lui le bonheur, tandis qu’elles voient en notre race et en nos frères le germe même de leur malheur. La situation arriérée des Etats noirs dans le monde conforte également cette idée. Mais cette situation arriérée de nos Etats est le fruit du complexe d’infériorité que cette idée a créé. Ce complexe d’infériorité nous empêche de réfléchir et de trouver des solutions à notre situation actuelle. La Bible conforte cette idée de la couleur noire comme couleur de malédiction par le mythe de Cham. Il est aujourd’hui très difficile de tenir un débat avec un frère noir sans qu’il ne réagisse sur quelque chose de mauvais et dise : « Nous les noirs nous sommes comme ça ». Quand il y a un deuil en Afrique noire, la population s’habille en noir, pour montrer que le malheur a frappé. Nous voyons en notre race le symbole même de nos problèmes. Nous cherchons à fuir cette race que nous croyons nous apporter des ennuis et des problèmes. Nos sœurs et mères se maquillent pour ressembler à la race blanche que nous croyons être celle du bonheur. Nous croyons que si nous étions blancs, notre continent serait déjà développé par miracle. Nous cherchons à parler comme des blancs, nous rejetons notre culture pour imiter celle des autres. Nous avons honte de nos religions et croyances, de notre culture, de nos frères, de notre continent. Nous voulons nous fuir.

Ayant accepté comme nos autres frères que notre couleur est celle du malheur, j’ai très tôt commencé à remettre cette idée en cause. Quand je commence à m’intéresser au panafricanisme et joins l’AUDA (Association pour l’Unité et le Développement de l’Afrique) en 2007, mon esprit commence à rejeter certaines pensées fausses et longtemps assimilées sur mon peuple et moi. Parmi ces pensées se trouvent la couleur noire comme couleur de malheur. En 2010 à l’AUDA, je lance le débat. Mais je suis très vite mis en minorité. Je me résigne, mais refuse toujours d’accepter que ma race est une race de malheur. Quand je lis Nations nègres et culture de Cheikh Anta Diop, je change le complexe d’infériorité qui m’animait en complexe de supériorité, tellement les arguments avancés sur la grandeur de la race noire sont vraies et vérifiables. Mais très peu de nos frères connaissent Cheikh Anta Diop. Pendant tout mon parcours scolaire dans l’enseignement secondaire, ce nom n’avait jamais été prononcé par mes enseignants. J’ai entendu parler de lui à l’université parce que j’ai fait la filière Histoire et surtout parce qu’on a eu une enseignante qui le vénérait presque. Cette enseignante c’est Dr Fouellefack Kana Célestine. Mes réflexions sur la question commencent à se stabiliser quand le chef supérieur Bana, dans la région de l’ouest-Cameroun interdit le port des habits noirs dans son village en cas de deuil et rétablit le port des habits blancs. J’essaie de faire des recherches dans ce sens et constate qu’avant l’influence occidentale, quand une personne mourrait, les endeuillés s’embaumaient le visage avec la cendre pour montrer que le malheur les a frappé. La cendre a la couleur blanche et non noire. Je constate également que dans toutes les religions les plus influentes du monde (islam, christianisme, judaïsme, bouddhisme…) le mort est enveloppé de drap blanc avant d’être enterré. Je me dis sûrement que c’est pour lui souhaiter le bonheur puisqu’on m’a toujours enseigné que la couleur blanche est la couleur du bonheur. Mais j’essaie d’analyser la situation plus en profondeur et me rends compte que dans christianisme et le judaïsme, il est écrit dans Josué 7 :6 et Esther 6 :12 que celui qui porte le deuil se revêt de cendres. Ce qui rejoint ma culture africaine. Si dans ma culture, le fait que l’endeuillé s’embaume avec la cendre veut montrer par-là que le malheur a frappé, j’estime que ce doit être la même chose dans la culture juive et dans le christianisme. Et comme c’est le cas, alors la couleur de malheur est blanche, la perte d’un être étant le plus grand malheur qu’une famille peut éprouver. La Torah (ou l’ancien testament du Christianisme), Osée 9 :4 poursuit en affirmant que l’endeuillé pleure, s'assoit dans la poussière et mange le « pain d'affliction ». S’il s’assoit dans la poussière qui rend le corps blanc et qu’il mange le pain de l’affliction, ceci n’est sûrement pas pour exprimer un bonheur, mais un malheur. Donc la couleur de malheur et de deuil n’est pas la couleur noire, mais la couleur blanche. J’essaie de voir la question dans le bouddhisme et je me rends compte que le défunt est habillé en blanc qui est aussi la couleur du deuil. La couleur de deuil chez les juifs est aussi blanche. Je me demande comment cette couleur de deuil et de malheur a pu devenir noire en Europe qui nous a plus tard transmis en Afrique. Après ces recherches, je me rappelle qu’à notre tendre enfance, quand on allait jouer dans la poussière et qu’on rentrait tout blanc, les grand-mères avaient l’habitude de nous insulter en disant : « Vous êtes blancs comme le diable ». Donc d’après notre manière de voir à nous africains le diable n’est pas noir, il est blanc. C’est lui qui agite souvent des nuits qui sont faits pour le repos. Quand j’étais enfant, tous ceux qui avaient dit avoir vu un fantôme l’avaient décrit comme étant blanc. Aussi, quand les femmes se querellaient au village, elles avaient l’habitude de dire : « Tu seras blanc comme le clair de lune et tout le monde va voir ce que tu es réellement ». Ce juron ne veut sûrement pas glorifier la blancheur de la lune, mais témoigne davantage pour la couleur blanche comme couleur de malheur.

Cet article permet seulement de lever l’équivoque sur une couleur. Toutes les couleurs doivent être redéfinies selon la conception propre à nous Africains. En plus des couleurs, tous les éléments de notre patrimoine africain doivent être repensés, soumis à une critique sans complaisance. Avec le long contact que nous avons eu avec l’Europe, les européens ont infestés les éléments de notre patrimoine pour mieux nous affaiblir et nous dominer. Tout doit être revue afin d’y extraire les éléments nuisibles à la République de Fusion Africaine en construction.