LIMARA : LE DIFFICILE ENFANTEMENT D’UN PARTI POLITIQUE
Après avoir constaté les difficultés de la société civile à améliorer les conditions de vie des populations camerounaises face à un régime tyrannique et sourd à toute proposition, préoccupé seulement par son pouvoir, il devenait clair pour nous qui trainions plus de 14 ans de militantisme dans la société civile que la politique pouvait seule résoudre la situation camerounaise. Il faut le pouvoir d’Etat pour opérer un véritable changement au pays. Il faut contrôler l’armée et la transformer en une armée de défense du peuple. Il faut organiser le travail, éviter les fuites d’argent, il faut humaniser la république et l’unir. Un tel travail ne peut être fait que par un parti révolutionnaire au pouvoir. Mes camarades et moi avions réalisé cela en 2014. Il était urgent de mettre sur pied ce parti politique révolutionnaire. Mais deux problèmes se posaient directement à nous.
Le premier est que nous sommes presque tous des étudiants, ce qui crée indubitablement le problème de finance. Le second c’est que nous sommes presque tous dans la vingtaine. Rare sont ceux qui ont une trentaine d’année. En 2014 quand nait l’idée de création d’un parti politique, j’ai 23 ans et suis étudiant en Master 2 à l’Institut Supérieur du Sahel à Maroua. Ces problèmes plombent le projet. En décembre 2016, depuis deux ans, nous avons des hésitations à créer le parti. Entre temps, la situation du pays s’est fondamentalement dégradée. Les brutalisassions des civils par les forces armées se multiplient, des milliers de femmes meurent dans les hôpitaux en accouchant faute de moyens financiers, dans les campagnes il n’y a pas d’électricité, ni d’eau potable. Les femmes font des kilomètres, les bébés au dos pour chercher de l’eau. La corruption est institutionnalisée. Une telle situation nous obligeait à relancer les réflexions sur la création d’un parti politique révolutionnaire. Il fallait trancher sur la question une fois pour toute. Mais notre volonté à entrer en politique se heurte une fois de plus à la faiblesse des moyens pour supporter les charges d’un parti politique. Soussia Pièrre propose une solution. Il nous faut nous lancer, faire des erreurs, tomber, nous relever et avancer. Nous poursuivons la discussion et tranchons. Nous acceptons sans réserve de courir ce risque. Nous savons que rien ne sera facile pour nous.
Le même mois de décembre 2016, les premières réflexions commencent. Mais le doute revient. Ce qui provoque le premier grand débat du parti qui divise l’organisation en deux camps. Le thème du débat est : Faut-il créer un parti politique ou adhérer à un parti politique déjà existant. Les tenants d’adhésion à un parti existant évoquent les difficultés financières, stratégiques et organisationnelles. Il faut adhérer tous à un parti politique révolutionnaire ou progressiste. Les exemples sont donnés : UPC-MANIDEM (Union des Populations du Cameroun-Manifeste pour la Nouvelle Indépendance et la Démocratie), UPA (Union des Populations Africaines), le MANIDEM (Manifeste Démocratique). Les tenants de la création du parti évoquent l’exception des idéologies du parti et les idées qui sont nôtres et qu’il faut défendre dans un parti politique autonome qui collabore avec les autres. Il faut assumer notre identité politique. Après 4 mois de débat, nous décidons de créer le parti politique. Le 17 avril 2017, nos camarades de Dschang se réunissent pour créer la LIMARA (Ligue des Masses Révolutionnaires Africaines).
Nous commençons à travailler sur les textes fondamentaux du parti (statuts et mémorandum sur le projet de société). En novembre 2017, nous avons achevé avec la rédaction des textes. Nous rédigeons les autres documents entrant dans la constitution du dossier pour la légalisation du parti. Nous rédigeons la lettre d’engagement. Cette lettre doit être légalisée par une autorité administrative avant d’être jointe au dossier puisqu’elle doit porter nos signatures légalisées. Les tracasseries administratives commencent. Le 27 décembre 2017, nos camarades se rendent à la sous-préfecture de Dschang pour faire signer la lettre d’engagement. Après 4 heures d’attente, le responsable des affaires politiques de la sous-préfecture de Dschang leur conseille de changer de nom et de retirer les termes « révolutionnaires » et « masses » sur le nom du parti. A l’annonce de la nouvelle, un nouveau débat nait dans le parti. Certains camarades trouvent qu’il faut maintenir notre nom tandis que d’autres optent pour son changement. Après deux heures de débat, nous sommes unanimes sur le maintien de notre nom. Mes camarades de Dschang se rendent à la préfecture de l’arrondissement administratif de la Menoua à Dschang pour faire signer la lettre. Le responsable des affaires juridiques et politiques de la préfecture leur fait comprendre que ce n’est pas à son niveau et leur remet la lettre non signée. Les camarades demandent l’audience pour rencontrer le préfet de la Menoua lui-même. Après plus d’une heure d’attente, ils sont reçus. Ils soumettent au préfet la préoccupation du parti qui souhaite faire signer la lettre d’engagement de ses membres à respecter la forme républicaine du pays, à ne pas recourir à la violence pour nous exprimer et à ne pas mettre sur pied une branche militaire ou paramilitaire tel que défini par la loi régissant les partis politiques au Cameroun. Après avoir lu la lettre d’engagement, le préfet ordonne au premier adjoint préfectoral de signer la lettre d’engagement.
Pour les camarades, c’est un ouf de soulagement. Mais le parti n’est pas au bout de ses peines. Le premier adjoint préfectoral désobéi aux ordres de son supérieur et refuse de signer la lettre d’engagement, prétextant que le préfet aurait dû signer lui-même le document. Il envoie les camarades au commissariat central de Dschang. Pour le commissaire, ce n’est pas son domaine de compétence. Les camarades décident de retourner à la sous-préfecture. Ils demandent l’audience pour rencontrer le sous-préfet. Ce dernier prend les dossiers et appelle les responsables de son service. Après plus de 30 minutes d’attente, la lettre d’engagement retourne aux camarades, non signée. Le sous-préfet les envoie aux services du gouverneur de la région de l’ouest à Bafoussam. Tandis que les camarades s’en vont à Bafoussam, ils sont rappelés à la sous-préfecture. Nouvelle séance d’étude et nouvelle attente des camarades. Après pratiquement 30 minutes d’attente, ils reçoivent la lettre d’engagement signée par le sous-préfet. C’est une grande victoire. A peine crée, le parti a affronté tant d’épreuves. La détermination des camarades a été la base de cette victoire. Nous croyons être au bout de nos peines, mais de dures épreuves nous attendent encore pour la légalisation de la LIMARA.
Le 03 janvier 2018, nous déposons les dossiers aux services du gouverneur de Bafoussam comme définit par les textes régissant la création des partis politiques au Cameroun. Les textes du pays prévoient que les services du gouverneur ont 15 jours pour étudier les dossiers et les transférer au ministère de l’administration territoriale. Ces textes stipulent également qu’après 3 mois suivant le dépôt des dossiers d’un parti politique, s’il n’y a pas un rejet, alors le parti existe officiellement selon le système de légalisation tacite. Le 03 avril 2018, 4 mois après le dépôt des dossiers du parti aux autorités camerounaises pour légalisation, nous nous rendons au ministère de l’administration territoriale à Yaoundé pour prendre notre récépissé de législation. Mais nos dossiers ne s’y trouvent pas. Le ministère nous renvoie aux services du gouverneur à Bafoussam. Nos camarades à Bafoussam réalisent que les dossiers n’ont pas bougés et se trouvent encore au service du courrier dans les services du gouverneur. La raison est très vite donnée : Les dossiers ont été oubliés. Les services du gouverneur nous rassurent qu’ils transfèreront les dossiers à Yaoundé dans une semaine. Une semaine après, nous nous rendons une fois de plus à Bafoussam. Les dossiers n’ont toujours pas bougés. Nous engageons des pressions en multipliant des voyages à Bafoussam. En mai, nous lançons le parti dans les réseaux sociaux et commençons une communication de proximité sur le parti. En début juillet, nous faisons une autre descente aux services du gouverneur à Bafoussam. Nous sommes informés que nos dossiers ont été envoyés au ministère de l’administration territoriale. Ce qui devait prendre 15 jours pour quitter les services du gouverneur a pris finalement 6 mois. Etant habitués aux tracasseries, nous savons qu’un nouveau combat nous attends au ministère. Celui des services du gouverneur ayant été remporté comme celui de Dschang. Dans la préparation des élections présidentielles d’octobre 2018, nous ne jugeons pas nécessaire de faire pression sur le ministère qui doit être débordé.
En novembre, après que les élections soient passées, nous nous apprêtons à faire un voyage à Yaoundé quand nous recevons l’appel du ministère de l’administration territoriale nous conseillant de retirer le dénominatif « révolutionnaires » sur le nom de notre parti, vue la situation actuelle du pays (guerre civile au Nord-ouest et sud-ouest, attaques de Boko Haram au Nord et instabilités aux frontières Est du pays.) Après cette discussion, à l’unanimité nous décidons de maintenir intact notre nom d’autant plus que nous ne sommes pas le seul parti politique au Cameroun à porter le terme « Révolutionnaire ». Deux semaines plus tard, nous nous rendons au ministère de l’administration territoriale. La responsable des affaires politiques n’a jamais entendu parler de notre parti politique, ni son inférieur hiérarchique direct. Nos dossiers se trouvent encore au premier bureau. Nous discutons une fois de plus du nom et nous leur clarifions l’impossibilité pour nous de changer de dénomination de notre parti politique. Le 27 décembre 2018, nous retournons au ministère de l’administration territoriale. Ce qui était une proposition pour changer le nom du parti devient une imposition. A défaut, nos dossiers seraient rejetés. Nous demandons l’audience pour rencontrer le ministre de l’administration territoriale pour lui faire part de la situation. Nous croyons pouvoir être reçu directement, mais on nous fait comprendre qu’on sera appelé quand le ministre sera disposé à nous recevoir. Nous n’aurons jamais cet appel. Le 02 janvier, après plus d’une semaine d’attente, nous retournons au ministère. On nous dit de continuer d’attendre le coup de fil. Nous commençons à réfléchir sur l’imposition du ministère de l’administration territoriale. Il nous faut exister politiquement, animer la scène politique nationale et participer aux élections municipales et législatives de 2019. Nous lançons le débat dans le parti et les membres à l’unanimité décident de changer le nom du parti au lieu de voir les dossiers rejetés. Depuis le lancement de notre parti, nous fonctionnons avec le principe de légalisation tacite. Mais nous connaissons les limites d’un tel statut dans une dictature. Nous convoquons une assemblée générale et changeons le nom du parti. Au lieu de LIMARA (Ligue des Masses Révolutionnaires Africaines) le parti s’appelle désormais LIMARA (Ligue des Masses pour la Renaissance Africaine). Nous déposons les dossiers de changement de nom au MINAT le lundi 07 janvier 2019 soit un an après les dépôts des dossiers de légalisation du parti.
Nous croyons cette fois avoir achevé notre périple, mais le régime d’Etoudi reste sourd. Deux mois après le dépôt des dossiers de changement de nom, nous faisons un voyage à Yaoundé pour suivre les dossiers, on nous informe que vu la situation au Cameroun, le ministre de l’administration territoriale a suspendre la légalisation des partis politiques jusqu’à nouvel ordre. Nous devons patienter. Tous les événements qui ont lieu au pays n’empêchent pas aux institutions de fonctionner. Le 9 mars, nous faisons un nouveau voyage à Yaoundé et déposons une requête adressée au ministre de l’administration territoriale demandant le récépissé de légalisation de notre parti politique. Nous commençons à comprendre que seule la pression nous fera avoir notre récépissé. Nous n’avons demandé qu’à exister sur la scène politique camerounaise et pouvoir mener nos activités politiques comme tous les 400 autres partis politiques légalisés au Cameroun. Mais, le gouvernement refuse obstinément de nous remettre le récépissé attestant cette légalité qui est déjà acquise de fait. Nous envisageons une grève, un sit-in au MINAT (Ministère de l’Administration Territoriale). Mais avant cela nous faisons une nouvelle demande d’audience pour rencontrer M. Atanga Nji, ministre de l’administration territoriale. Mais un nouveau débat a cours dans le parti et nous renonçons à la grève. Nous faisons un autre voyage à Yaoundé pour une nouvelle demande d’audience. Mais une fois de plus elle reste lettre morte. Aucune réponse du ministère. Nous décidons de travailler avec le statut légal de la législation tacite. Nous concentrons nos activités sur notre école des cadres. Nous sommes rendus à la troisième année depuis le dépôt de nos dossiers.
Les choses n’ont pas été aussi faciles pour nous dans l’opposition. Nous avons découvert une autre réalité, d’autres défis. Nous avons compris pourquoi l’opposition stagne depuis des décennies. Chaque pas que nous avons avancé jusqu’ici a été un combat. Nous avons compté exclusivement sur nous-mêmes. Mais toutes nos difficultés nous rendent plus matures, plus forts. Nous gagnons en expérience et nous comprenons mieux le pays pour bien le transformer d’ici quelques années quand nous aurons le pouvoir politique.