Une langue africaine ou camerounaise : c’est possible!»

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Le  paradigme historiographique de Cheikh Anta Diop accorde une place de choix à la question de l’identité. Celle-ci, en tant que trait définissant et distinguant un peuple des autres, est, de l’avis du célèbre égyptologue, constituée de trois éléments clés: la psychologie ou la spiritualité, la mémoire historique et la langue.  Cette dernière est au cœur des enjeux et des conquêtes géopolitiques et géostratégiques actuels, car toutes les convoitises économiques sont fondées sur une démarche assimilationniste partant avant tout de la conquête culturel et, donc, linguistique de leur cible.

Le continent africain, parait-il, n’a pas encore saisi cette marche objective de l’histoire et entretient en permanence des rapports conflictuels avec sa culture et la panoplie des langues dont il dispose. Le Cameroun et presque tous les autres pays africains ont rejeté leurs langues pour trouver refuge confortablement dans la pratique de l’esclavage linguistique. Ce type d’esclavage, dont la nécessité de destruction s’impose, est hérité du colonialisme et en est un mécanisme de pérennisation.

La rupture avec cette situation linguistique indigne qui caractérise le continent africain doit être inconditionnelle et suivie d’une rigoureuse politique de réappropriation et de revalorisation de nos langues. Cette politique pourra très aisément ériger l’une de ses langues en langue africaine ou nationale suivant qu‘elle est continentale ou propre à un pays. Telle est une mission possible et noble à laquelle tous les Etats africains drapés dans l’aliénation linguistique doivent se livrer à l’effet de reconstituer leur personnalité culturelle et prendre la place qui est la leur dans le concert des nations. Notre analyse se veut une démonstration de la possibilité d’adoption d’une langue africaine ou camerounaise. Elle expose la démarche à suivre dans ses détails.

Le choix d’une langue dans le contexte africain actuel exige une expertise scientifique avérée. Ce qui revient à dire que l’Afrique ou les pays africains doivent mener  une étude rigoureuse au sujet de leurs langues afin de discerner celles qui ont plus de chances à catalyser le processus de leur insertion dans le concert des nations. La finalité de cette étude est donc de garantir un choix linguistique objectif, rationnel et efficace, c’est -à-dire un choix exempt de toute tendance tribaliste et discriminative. C’est à juste titre qu’il est nécessaire de faire recours au sociologue Jean Ziegler pour qui le choix d’une langue officielle repose sur des critères communicationnel, économique et éducatif.

Toujours dans cette mouvance scientifique et heuristique, l’avènement d’une institution comme l’académie de langue serait salutaire. Une telle institution aura pour but d’étudier la langue dans son évolution, ses normes grammaticales et orthographiques, et de l’enrichir au moyen des autres langues nationales. Ce qui signifie logiquement que la décision d’adopter une langue officielle ne décrète en rien la mort des autres langues contrairement à une certaine opinion qui hante l’Afrique. L’académie doit pour ainsi dire s’inspirer de la thèse de Cheikh Anta et ses disciples qui démontrent l’unité et l’origine commune des langues africaines. Ce qui  renforcerait  la solidarité et la conscience nationales ou continentales, gages du décollage de l’Afrique et de la défense de ses intérêts géopolitiques et stratégiques.

La langue est l’outil d’expression de la culture dans toutes ses formes. Raison pour laquelle pour optimiser les chances de son adoption, on doit s’assurer qu’elle traduise rigoureusement et prioritairement la vision du monde propre au continent africain. Autrement dit, si la langue choisie n’exprime pas la spiritualité d’un peuple,  n’est pas fidèle au processus de transmission des enseignements, des valeurs et les us et coutumes de ses ancêtres, elle est destinée à fossoyer l’avenir de ce peuple et à le condamner à être à la traine des autres. C’est pourquoi l’urgence est signalée ici de dénoncer le génocide culturel promu par la démarche criminelle dite d’apprentissage et de valorisation des langues nationales qui part de la traduction de la bible et de toute œuvre dont le but est de disséminer la religion d’un peuple. Cette démarche essentiellement aliénante constitue la mort spirituelle et intellectuelle programmée du continent africain et tout projet de promotion des langues africaines devrait s’en méfier.

Une fois les préoccupations identitaires résolues, la langue doit pouvoir s’intéresser aux grands enjeux technoscientifiques de l’heure. Ce qui passe inéluctablement par sa mise à jour, c’est-à-dire qu’elle doit s’élever et se positionner sur le même piédestal que les langues qui, à l’échelle planétaire, sont prégnantes dans le processus de production et de diffusion de la science dans tous ses compartiments. Ce moyen assure la compétitivité, la participation ou l’intégration active dans l’univers cosmopolite sans présupposé d’acculturation.

Ainsi pourrait être adoptée une langue africaine, camerounaise ou même de n’importe quel autre pays d’Afrique. La démarche est objective et pourrait être empruntée par toute nation soucieuse de sa politique linguistique. Les puissances asiatiques émergentes ont très bien saisi cette évidence et sont, pour certaines, comme la Chine, en train de conquérir le monde sur la base d’un impérialisme culturel latent et très doux. L’Afrique en général et le Cameroun en particulier, victimes de l’esclavage linguistique, semblent se plaire et se complaire dans leurs conditions d’esclaves. Ils continuent à vouer un culte aux langues de leurs bourreaux occidentaux et, bientôt, asiatique.

La politique linguistique du continent africain, tout comme celle  de la plupart de ses Etats à l’instar du Cameroun, paraît stérile et incantatoire. Même la charte de l’Organisation de l’Unité de Africaine (OUA) de 1963 qui consacre le Swahili comme langue africaine laisse indifférents presque tous les pays, même l’Union Africaine qui, en principe, devrait déjà adopter en son sein cette langue. Cette situation se justifie sans doute par la souveraineté confisquée du continent dont les mentalités des politiques sont tournées vers l’occident qui les a sécrétées. Relevons et félicitons quand même l’exemple de certains pays comme le Sénégal avec son Wolof, la République Démocratique du Congo avec son Lingala etc.…, qui peuvent servir de modèle aux autres pays.

L’Afrique doit vivement se réconcilier avec sa culture en procédant à la valorisation réelle de ses langues au rang desquelles elle doit pouvoir choisir une qui sera érigée en langue continentale. Le  Swahili étant déjà textuellement consacré, il ne reste plus qu’à l’implémenter. Cette démarche doit être suivie par tous les pays africains qui sont encore à la traine, y compris le Cameroun. Seule la VOLONTE POLITIQUE est interpellée ici, car elle est la condition sine qua non de la réalisation d’un tel projet. Si les hommes politiques africains refusent un tel projet, compte tenue des enjeux, il est urgent pour le peuple africain de les chasser et de les remplacer par un autre type de leaders soucieux du devenir du continent.